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Jeanne d’Arc vue de chez elle en 1928, à Domrémy

 

 

 

                                                                                                                                    

 

                                                                                                                                                                                          La demeure extérieure de Jeanne d'Arc à Domremy

 

 

 

 

 

 

                                                                                        La maison de Jeanne d'Arc à Domremy

 

 

                   Beauregard, pour qui veut, en 1928, connaître l’histoire de la vraie Jeanne d’Arc, offre un panorama vivant, une idéale table des matières. De ce plateau, on découvre à la fois le village où Jeanne est née et les villages où elle se rendait le plus fréquemment ; les prairies, les champs et les bois qu’elle traversait, pour accomplir sa besogne quotidienne ; les églises et les chapelles où elle a le plus souvent prié ; les sentiers que son pas a marqués sans cesse et la route qui l’a vue s’éloigner sans retour ; tous les endroits où s’est formée son âme, où elle a conçu le plan de sa mission et où elle a décidé de s’immoler au salut de la France.

- Et où ce Beauregard se trouve-t-il ? Par quelle voie y arrive-t-on, quand on vient de Paris ?

- Par deux voies à peu près égales : de Paris à Domremy-Maxey par Chaumont (337 kilomètres) ; de Paris à Domremy-Maxey par Pagny-sur-Meuse (333 kilomètres). Nous voici à la gare de Maxey-sur-Meuse, Domremy, sur la droite de la Meuse, est à quelques pas de nous. Pour y arriver en une demi-heure sans hâter le pas, nous n’avons qu’à suivre un sentier qui va se perdre dans les plus douces prairies de Jeanne...

- Et ! bien, quattendez-vous pour vous mettre en route ?

- Nous attendons demain. Aujourd’hui, nous allons tout d’abord tourner le dos à Domremy, mais pour le voir de plus haut et dans l’ensemble le plus révélateur.

Pour monter jusqu’à Beauregard, depuis Maxey-sur-Meuse – station appelée Domremy-Maxey dans les « indicateurs » de voies ferrées – il faut à peine une demi-heure au voyageur résolu à ne pas se fatiguer. Traversons le village et dirigeons-nous vers l’éperon de Beauregard, reconnaissable à la candide petite chapelle qu’il porte à son extrémité.

Nulle route n’est plus grimpante, malaisée, rocailleuse, rocheuse même. Laissez ici toute espérance, bons automobilistes ! (1928) Beauregard demeure un « pèlerinage » dans toute la force sévère du terme : le pèlerin n’y accède qu’à pied. Aussi bien, pour abréger la route, un calvaire nous tend les bras de ses grandes Croix frustes, superbement plantées dans des mergers gigantesques, montagnes aux milliers d’arêtes vives que les paysans du temps jadis grossissaient chaque année en épierrant leurs vignes. La première croix du calvaire est précédée d’une grande croix de métal portant cette noble inscription : « Aux enfants de Maxey morts pour la France, leur curé Justin Vouillaume ». La dernière grande croix de bois touche presque au vieux tilleul de la chapelle. Arrêtez-vous : ici est le « Beauregard » de la bonne Lorraine.

Regardons ! Sur la rive gauche de la Meuse au cours sinueux, vous voyez Domremy. Au pied d’une église à la vieille tour carrée qui se distingue si bien, se blottit la maison natale de Jeanne. Jeanne, du seuil de sa maison, apercevait le Bois-Chesnu que, d’ici, vous apercevez encore mieux. Aux flancs du Bois-Chesnu, vous mesurez, en sa blancheur crue, une vaste basilique non encore achevée.

Jamais on ne dira combien l’observatoire de Beauregard, d’où les yeux du voyageur plongent dans une vallée de 27 kilomètres, est délicieux au voyageur qui aspire à comprendre le caractère harmonieux et net de la région où s’est formée l’âme de la pure héroïne française !

D’un coup d’oeil, sur la rive gauche, vous embrassez le Bois-Chesnu, Domremy, Greux « qui ne fait qu’un avec Domremy », les hauteurs de Vouthon où est née la mère de Jeanne, Bermont où Jeanne a formulé son voeu qui a sauvé notre unité nationale, Burey-la-Côte où habitait le cousin de Jeanne, Durand Lanart, qui favorisa son départ vers le roi de France.

Le doux ciel de beauregard se reflète aux méandres de la Meuse et du Vair qui rejoint la Meuse à Domremy.

Cette vallée meusienne abonde en enchantements. Plus d’une scène naturelle y tient du miracle. On croit savoir que Jeanne tombée aux mains des Anglais, lorsqu’elle vit la mer pour la première fois, n’a ressenti aucune surprise. Ce spectacle qu’elle avait alors sous les yeux, elle l’avait déjà eu au Bois-Chesnu. En certaines matinées d’octobre, quand vous montez à la chapelle de Beauregard, vous êtes tenté de vous écrier : « Quel est, à nos pieds, cet immense golfe blanc ? » La haute tour de la Basilique, au Bois-Chesnu, semble un phare tout neuf dont la flamme vient de s’éteindre. Domrémy, Maxey, Greux sont engloutis. Bermont apparaît comme une villa construite entre la forêt et la mer. Quant à Burey, sur la falaise, il est en ce moment le vrai frère de Saint-Melloir-les-Ondes, village de pêcheurs bretons. Bientôt, le soleil s’étant élevé derrière nous, au dessus de Jubainville, le golfe blanc se vide peu à peu, comme au reflux d’une marée magique. Au rebord du plateau où nous sommes, quelques volutes de brouillard, nacre aérienne, adhèrent encore, jusqu’à nos pieds. Et nous voilà pareils aux saints qui, dans les tableaux des primitifs, cheminent sur un nuage.

Maxey reparaît, souriant. C’est à Maxey que Jeanne allait à l’école.

En sortant de l’école, Jeanne n’avait pas à aller jusqu’à Domremy. Dans une sorte d’île formée par un bras de la Meuse, ses parents avaient loué une ancienne maison-forte appartenant au duc de Bourlémont. Vous distinguez encore dans la prairie les anciens contours de cette île. Pendant les pluies, apparaît vite une ligne d’eau, sous les saules, les peupliers et les trembles.

A l’extrémité de cette île se trouvait l’ancienne maison-forte avec une petite chapelle consacrée à Notre-Dame, une enceinte portant quelques ouvrages de défense et un assez vaste jardin, entourés d’un fossé. Ces constructions avaient servi de résidence aux seigneurs de Bourlémont. Mais l’héritière du dernier d’entre eux, Jeanne de Joinville, étant allée habiter avec son mari, seigneur d’Ogéviller, chambellan du duc de Lorraine, le « château de l’île » resta debout. Les gens de Domremy estimèrent que ces murs encore solides fourniraient un excellent abri pour leurs bestiaux et leurs personnes, en cas d’alerte. Ils demandèrent à le prendre en location. La dame d’Ogéviller fit mettre cette location aux enchères.

Parmi les plus forts enchérisseurs et qui pouvaient fournir les meilleures garanties, furent Jacques d’Arc, le père de Jeanne, doyen de la commune de Domremy, et un autre habitant de Domremy, Jean Biget. Le bail, passé pour neuf ans à partir de la Saint-Jean-Baptiste de 1419, indiquait comme prix quatorze livres tournoi, plus trois imaux de blé par an. Les locataires disposaient de la forteresse, de la cour, du jardin entouré du fossé, des prés qui dépendaient dudit château. Conformément à leurs droits, ils prirent des locataires subsidiaires au nombre de cinq, Jacques d’Arc gardait la haute main sur tout. D’ailleurs, le premier locataire subsidiaire en nom était son fils aîné Jacques, dit Jacquemin.

dans cette construction où avaient résidé les seigneurs de la région, en ce jardin de forteresse, parmi ces ouvrages de guerre encore prêts à servir, Jeanne se trouvait chez elle. Son imagination si prompte et si précise lui mettait sans cesse devant les yeux les péripéties de quelque siège.

Peu de temps après la location, Jeanne, du haut de ce château-fort assistait à un combat véritable, celui de Maxey-sous-Maxey. A quatre lieues de Domremy, le damoiseau de Commercy ne vivait que de pillage. Dans ses expéditions continuelles, ce qu’il ne pouvait enlever, il le brûlait. A la fin de mai 1419, il entra en campagne contre les frères Didier et Durand de Saint-Dié. Aux approches du danger, les gens de Domremy s’enfermèrent dans le château de l’île, autour des D’Arc.

Le combat s’engagea dans l’espace comprit entre le haut du promontoire de Beauregard et le Mont-Julian, étrange plateau pareil à un vaste piédestal circulaire attendant on ne sait quel symbolique monument. La lutte fut longue. Des bois voisins sortaient successivement des renforts pour l’un et l’autre parti. Suivant la coutume, les pauvres toits de chaume prenaient feu. La victoire appartint aux troupes plus exercées et plus nombreuses du Damoiseau, lequel s’éloigna avec les prisonniers dont il comptait tirer bonne rançon.

Jeanne avait alors neuf ans, peut-être même un peu davantage. Elle suivit les péripéties du combat avec une émotion d’autant plus poignante que, parmi les combattants, du côté de Durand-Didier, se trouvait l’écuyer Thiesselin de Vittel, mari de la marraine Jeannette qui lui contait de si belles histoires.Jeanne vit son parrain (c’est ainsi que les enfants de Lorraine appellent le mari de leur marraine) emmené en captivité. Les malheureuses femmes de Maxey criaient leur détresse devant les maisons en cendres et tous leurs bien anéantis. Çà et là, des blessés agonisaient sans secours, sur le sol mouillé de sang et de pluie. Peut-être Jeanne, dans son esprit où tout s’éveillait aux choses de la guerre, refit-elle le plan de la bataille de telle sorte que son parrain put non seulement être délivré, mais être au nombre des vainqueurs.

Que de fois, dans les combats auxquels elle assistera ou qu’elle dirigera elle-même, dix ans après, Jeanne pensera à ce château de l’île, à ses bastions, à son fossé ! La voilà par exemple, en septembre 1429, devant le fossé de Paris. Tout de suite, elle le sonde avec sa lance. D’instinct, elle refait un geste quelle a fait si souvent, près de sa maison-forte de l’île.

Il y a cinq siècles, malgré l’excessive misère du temps, le pays de Jeanne n’était pas à vrai dire tout à fait misérable. Les hautes collines fournissaient le bois en abondance. Des troupeaux de porcs s’engraissaient de la glandée. Depuis le XIVe siècle, un beau vignoblen du côté de Greux, donnait le clair vin rose que l’on sait. Dans les champs foisonnaient le blé, l’orge et surtout l’avoine. De magnifiques ruchers au miel exquis formaient des sources d’or pur. Le long de la Meuse abondait cette herbe qui compte parmi les plus renommées du monde. Foins enlevés, on lâchait comme aujourd’hui le bétail dans les prairies. Chacun avait le droit de « faire pâturer un nombre de têtes proportionné aux fauchées de prés qu’il possédait ». A tour de rôle, une personne de chaque ménage devait prendre la garde du troupeau. Jeanne s’acquittait de ce soin, quand venait son tour. Jamais elle n’a été pastoure de profession.

A Domremy, la maison de d’Arc était plus solidement, mais non moins simplement bâtie que les autres. Ah ! maisons du vieux temps au village, pauvres terriers humains ! Au fond, elles ne se sont guère modifiées. Comme autrefois, leur façade est percée d’une seule fenêtre, deux au plus. Leur toiture au sombre feston de tuiles déborde par derrière jusqu’au sol, abritant la saillie du four et le tas de fagots. Entouré de murs ou de palissades, le jardin, le meix comme on dit, est à la fois un verger, « le jardin d’herbes », et un potager, « le beau jardin », avec quelques hautes fleurs qu’on appelle des « bouquets ».

La demeure de Jeanne d'Arc à Domremy

On pénètre dans la maison de Jeanne par une porte assez large et basse. On traverse l’étable. A droite, la chambre de la mère et du père ; à gauche, la chambre des garçons ; au fond, la chambre de Jeanne, laquelle servait de chambre à four. Elle a un placard creusé dans le mur. Elle s’éclaire d’une lucarne carrée ouverte sur le jardin qui touchait au cimetière. L’ombre des petites croix de pierre s’allongeait au clair de lune, jusque sur le lit de l’enfant. Autour de la maison se développaient des arbres, d’autres jardins, des chenevières. En somme, rien de tout cela n’a changé. Si Jeanne d’Arc revenait, elle se retrouverait chez elle.

La rue de Domremy est une route. Mieux encore : c’est la grand route, ancienne voie romaine de Langres à Verdun. La porte de la maison de Jeanne s’ouvrait sur cette route. Tous les événements qui agitaient le pays se répercutaient ici, comme en une pulsation. Tel messager en buvant un coup de vin, tel charretier en faisant referrer son cheval, tel mendiant en tendant la main, avaient en l’espace d’une minute rempli le village de quelque immense émotion extérieure. On s’étonnera par la suite de voir Jeanne d’Arc si avertie de tout, si habile à percer les mensonges et à lever les masses. Clairvoyante, assurément elle l’est au plus haut point par un don de nature. Mais, en outre, elle garde dans sa mémoire un trésor inouï de témoignages et d’informations. Le grand chemin a été sa grande école d’histoire.

C’est à Bermont que Jeanne d’Arc fit voeu de délivrer la France. Les voeux de cette sorte, tout personnels, tout intimes, sont fréquents en Lorraine. Bermont est un lieu hautain, rude et mystérieux. De longues collines lui forment une enveloppe reculée et superbe. De bermont, on découvre d’un côté l’étrange falaise crayeuse de Pagny-la-Blanche-Côte ; de l’autre côté, le clocher de greux et les chères maisons de Domremy ; en face, le petit ermitage de Beauregard qui domine Maxey-sur-Meuse. Près de la chapelle, dans une gorge profonde, une source jaillit. On l’appelle « la fontaine Saint-Thiébault ». Sur ses bords s’érigent les admirables fûts des hêtres, des frênes dont elle réjouit les racines. Son eau pure guérit les fièvres, cicatrise les plaies, apaise les âmes.

Jeanne, tous les samedis, venait à Bermont et priait. « Bermont, disait-elle, mes délices ! ». La chapelle conserve de grands témoignages d’elle. Le bénitier de pierre en forme de canon est du XIIIe siècle. Il ressemble à celui de Domremy. A gauche de l’autel, la Vierge pensive porte son enfant. A droite, saint-Thiébault tient une colombe. Ces statues de bois s’effritent par la base, bien qu’elles soient repeintes en couleurs crues pour les préserver des vers. Au-dessus d’elles, au fond de la chapelle, dominant l’autel, règne une sorte de Calvaire formé d’un grand Christ, d’une seconde Vierge et d’un saint-Jean. Ce grand Christ d’aspect byzantin est la haute image formidable de la chapelle. Nous ne pensons pas qu’on rencontre nulle part ailleurs un tel Crucifié. Ce qui domine en ce Christ, c’est une expression de souffrance jusque dans son sommeil de mort. Ses lèvres semblent closes sur la plainte des plaintes : « Seigneur, pourquoi m’avez-vous abandonné ? ».

Ce Christ a exercé une action souveraine sur la destinée de Jeanne. C’est devant lui qu’elle a passé ses plus longues heures de contemplation. C’est sur lui qu’elle a juré de partir.

Après avoir pris contact avec la peine humaine, dans le rude enchantement des nuits froides, au milieu de la forêt déserte, Jeanne imprégnait son âme de tous les objets qui sont ici. Ce Crucifix de Bermont a été le signal de sa vie, l’objet de son culte, l’emblème de sa gloire. Jeanne, durant son enfance, resta une isolée. Envers tous, elle est obligeante et charitable ; mais on la sent si différente ! Seule, quelques rares jeunes filles ont lié leur existence à la sienne.

Cette Hauviette, plus jeune qu’elle de quatre ans, qui ne la quittait guère de la journée ni même de la nuit et à qui, par pitié tendre, elle cachera avec tant de soin son dessein et son départ. Hauviette, qui épousera Gérard, notable de Domremy, la pleurera trente années après sa mort comme au lendemain de son supplice et assistera au procès de réhabilitation.

Cette Mengette, la chère voisine dont la maison était située à l’endroit où s’élève aujourd’hui la mairie. On la voyait sans cesse avec sa quenouille devant la maison des d’Arc. Fille de Jean Vouthon, elle était cousine germaine de Jeanne. A celle-là, Jeanne ne pourra cacher sont départ. Elle lui dira : « Adieu, Mengette ! ». Ces deux mots rempliront la vie de Mengette, jusqu’au dernier soupir.

C’est enfin Isabelette, son aînée de quatre ans. Isabelette parlait à Jeanne en soeur expérimentée, en conseillère. Elle la pressait de se mêler aux jeux, à la vie, au monde. Elle prêcha même d’exemple. Elle se maria le plus tôt qu’elle put avec Gérardin (d’Epinal), fort brave homme, mais qui fut, à Domremy, le seul partisan des Bourguignons. Elle eut un fils dont Jeanne fut la marraine.

A ces amies si sûres et si sages, Jeanne, dans son cœur, semble avoir ajouté un ami, Michel Lebuin, qui était bon. On croit que, dès le premier jour, elle lui révéla ses sublimes projets. Elle lui dit, la veille de Saint-Jean-l’Evangéliste : « Il y a, entre Coussey et Vaucouleurs, une jeune fille qui, avant un an, fera sacrer le roi de France à Reims ». Peut-être voulait-elle, par cette révélation, l’empêcher de concevoir un rêve irréalisable.

Le pays n’a guère changé. Nous y retrouvons les choses et les noms du temps jadis. Sur la route de Domremy à Vouthon, deux jeunes filles à bicyclette se croisent au pied d’une côte. Elles causent, accoudées sur leur petit cheval d’acier.

- Je ne t’ai pas rencontrée depuis la fête de Greux, Huguette.

- Depuis la fête de Maxey, Simonette.

A entendre leurs prénoms, on s’attend à voir la Mengette, la Hauviette, la Zabelette de Jeanne d’Arc. La conversation continue. Aux propos de nos deux jeunes filles vont défiler les Lebuin, les Laxart, les Charpentier, les Gérardin, les Lefumeux du vieux temps. Pas plus que les noms propres, les mots usuels n’ont changé. C’est toujours la langue de Jeanne d’Arc que l’on peut retrouver ici.

- Mais le costume ?

- Pour le travail, le costume reste aussi le même. Jupe, tablier, camisole, halette, se retrouvent, en 1928, tels qu’en 1428, un an avant le départ de Jeanne.

Le costume de travail, soit ! Quant au costume de fête, n’est-ce pas une autre affaire ? Vos deux jeunes filles sont habillées à la mose la plus moderne ?

- Parfaitement, et avec des étoffes dont Paris ne contesterait pas la valeur.

- Qu’aurait pensé Jeanne de ces vêtements courts ?

- Répondez vous-même. Certes, la jupe de serge rouge que Jeanne portait n’était pas traînante.

- Mais qu’aurait-elle pensé de ces cheveux courts ?

- Nous disons aujourd’hui qu’ils sont « à la Jeanne d’Arc ».

- De quelle couleur étaient les cheveux de Jeanne ?

- Là-dessus, il n’y a jamais eu de doute possible. Les cheveux de Jeanne étaient noirs. La ville de Riom a conservé une pauvre lettre où Jeanne la conjure de lui envoyer des armes, du salpêtre, de l’argent. Circulaire suppliante, ce pli fut scellé d’un cachet de cire où, suivant l’usage, Jeanne mit un de ses cheveux. Ce cheveu était noir comme de l’encre. Seule relique de la Sainte, puisque le bourreau a jeté ses cendres à la Seine, à la mer, à l’infini.

Ses cheveux noirs, Jeanne les portait coupés en rond. Telle était alors la coiffure des jeunes garçons qui s’essayaient aux armes. Derrière l’oreille, sa peau était marquée d’une tache de lie de vin. Ses cheveux n’étaient même pas assez longs pour cacher ce signe. Aussi bien, le procès ne nous laisse rien ignorer de son costume.

« Cheveux taillés en rond suivant la coupe adoptée par les pages, chemise, braies, gippon, chausses liées au gippon par des aiguillettes (n’est-ce pas ce qu’on appellerait, en 1928, une combinaison ?), souliers haut lacés en dehors, robe courte jusqu’au genou environ (curta roba usque ad genu). Jeanne avait pris « habit d’homme », cette robe courte était le vêtement masculin à la mode sous Charles VII, sorte de paletot qui, d’ordinaire, ne dépassait guère la taille.

Le 23 février 1428, premier dimanche de Carême, Jeanne peut quitter Vaucouleurs. La cloche de la chapelle castrale fait entendre sa voix grêle et gaie. Jeanne a reçu la veille le costume militaire que les habitants de Vaucouleurs lui offrent par cotisation. Le cheval qu’elle monte semble courageux et fort. On partit à la nuit tombante, par la Porte de France. Près de cette porte, Jeanne descendit de cheval. Une dernière fois, elle alla s’agenouiller sous les voûtes de la chapelle castrale où si souvent elle s’était réfugiée dans une prière et une rêverie ardentes. A ce départ assistaient l’oncle Durant, Henri Le Royer, quelques amis.

Dix heures de cheval pour la première étape. Quelle torture déjà, sa première chevauchée au départ de Vaucouleurs ! Les vêtements neufs, le dur galop du cheval, l’immobilité des pieds glacés dans les étriers, la crampe du poignet raidi sur les bride, dis lieues, quinze lieues franchies d’une traite, en des chemins trempés de pluie. hérissés de pierres, voilà de quoi briser les forces d’un héros. Jeanne estime que l’on va trop lentement. A ses parents elle a dicté une lettre d’adieu qu’un moine porta. Aussi bien, le pays natal sera renseigné sur Jeanne par ses lettres et par la grand’route. Son père assistera au sacre de Reims. Puis, Domremy, par la grand’route, connaîtra l’échec de Paris, la prise de Jeanne d’Arc à Compiègne, le supplice de Rouen. Pour l’enfant de Domremy, le feu est la torture des tortures. Les blessures du fer ou du plomb ne causent que douleur supportable : un choc, rien de plus ! Le feu a de monstrueuses, de profondes, d’infernales atteintes. Il saisit les vêtements, ronge la peau, corrode les chairs, mord les poumons. Jeanne imaginait toutes ces choses. Elle a crié, dans un élan de supplication déchirante : « Faut-il que mon corps entier, net, sans la moindre corruption, soit détruit par le feu ! J’aimerais mieux être décapitée sept fois que de monter sur le bûcher ».

 

                                                                                                                    Jeanne d'Arc sur le bûcher dressé sur la place de Rouen

 

 

                 Une cloche résonne dans sa prison. C’est le glas. Jeanne, une dernière fois, a l’écho des cloches qui se répondent dans la vallée de la Meuse, cloches lorraines dont les delicieuses vibrations ont bercé son âme d’enfant et d’adolescente.

Que si l’on cherchait la qualité principale, la faculté dominatrice, l’âme de cette âme, on verrait que c’est la bonté. Envers ses parents, ses amies, ses compagnons d’armes, son roi, envers ses ennemis même. Jeanne est bonne, bonne toujours, bonne jusqu’à la mort, bonne jusque dans la mort. En voyant couler le sang, elle avait toujours le même frisson. Elle a fait la guerre à la guerre. En pleine bataille, à Patay, voyant un Anglais agoniser, elle sauta sur le sol et, de ses mains vierge, l’aide à mourir. Elle ne se servait de son épée que pour montrer le chemin.

A côté de cette grandeur : la bonté, elle a cette autre grandeur : le silence. On peut mesurer une âme de femme à l’ampleur de bonté et la force de silence qui sont en elle.

Ses nuits de vierge sont hautement virginales. Elle se lève avant le jour. Quelques heures de sommeil lui suffisent. Sa sobriété est extrême. D’abord, elle appartient à une race qui vit de peu. Elle se contentait à l’ordinaire d’un morceau de pain et de quelques légumes. Fatiguée à l’extrême, elle mouillait son pain d’un peu de vin. Hélas ! ce n’était pas le vin rosé, le joli vin léger et frais de Domremy ! Les seuls mets qu’on pût lui offrir pour lui faire fête étaient lorrains et d’une rustique simplicité. C’était la mince tranche de lard dumé et grillé qu’on appelle encore en Lorraine d’un vieux mot français, le bacon. C’était le lait caillé très comprimé, presque sec, qui, sous le couteau, a des luisants de marbre et des transparences d’albâtre. C’étaient des avrillots, champignons frêles et menus, de nuance claire, que l’on recueille dans les terres en friche. C’était, enfin, une de ces modestes et loyales friandises propres au pays, la Kiche, composée d’un morceau de pâte pareille à celle du pain, aplatie au rouleau jusqu’à n’être plus qu’une feuille, puis très discrétement frottée de beurre ou semée de lardons. Il semblait à Jeanne qu’en goûtant ces mets, elle communiait avec le pays natal.

Dans la vierge guerrière d’Orléans ou de Reims, nous reconnaissons toujours la brave petite fille rattachée par tant de liens aux choses de la terre. Elle s’enquiert des récoltes, examine les bêtes, les outils, les vêtements, les visages des laboureurs. On sent bien qu’elle rapporte tout à ses souvenirs de Domremy.

L’âma de Jeanne d’Arc se retrouve au pays, quand le pays a besoin d’elle. Ici, à chaque pas, abondent les exemples d’héroïsme féminin.

Telle jeune fille, afin d’épouser plutôt l’homme de son choix, avait appris l’art de la broderie. Couchée sur le métier, sans reprendre haleine, elle poursuivit son travail pendant des jours, des nuits, des mois entiers. Pas de repos, même pour les repas. Quelque voisine de bonne volonté lui coupait et lui tendait des bouchées de pain. Elle ne s’interrompit que lorsqu’elle eut gagné sa dot. Alors, elle jeta son métier dans un coin, puis elle commença une nouvelle vie et d’autres labeurs.

Telle jeune mère, un soir de décembre, apprit que son enfant était tombé subitement malade chez une nourrice, à dix ou douze lieues. Pas de voiture et même, à vrai dire, pas de route. Elle partit sur l’heure. Au milieu d’une effroyable tempête de neige, nu-tête, le vent ayant emporté sa capeline, elle traversa les ruisseaux débordés, les terres labourées, les étangs, les forêts. Elle arriva le lendemain, à l’aube. En quel état ! Ses cheveux collés au visage, ses vêtements plaqués au corps par une triple couche de boue !

Etendu sur son lit, l’enfant, en la voyant entrer ainsi faite, éclata de rire et fur sauvé.

Il y a de la Jeanne d’Arc chez cette jeune fille, et aussi chez cette jeune mère. Nulle hésitation ! Une ignorance sublime de l’obstacle !

Telle autre Lorraine, vieille, très vieille... Mais voici, nous l’avouons, un acte d’héroïsme assez bizarre et si douloureux à conter ! Cette vieille femme attendait l’arrivée de sa peite-fille. L’enfant devait passer quelques jours chez sa grand-mère. La grand-mère préparait tout dans le logis pour qu’il fût en fête. Tout à coup, ses vêtements prirent feu. Elle brûla horriblement. La nuit approchait, l’enfant allait venir. La vieille femme revêtit en hâte un costume neuf. Elle alla pouvrir sa porte, servit un gai repas à la petite fille, la coucha dans son lit. Cela fait, elle s’étendit près d’elle, toute vêtue. Elle ne fit pas un mouvement, pas une plainte. Le lendemain, elle pria la petite fille d’aller chercher une voisine. Pendant cette courte absence, elle mourut. Ses brûlures, même soignées à temps, n’en auraient pas moins été mortelles. Qu’est-ce que ce sentiment qui les lui avait fait tenir secrètes ? Qu’est-ce que cette espèce de pudeur qui aboutit à une espèce de martyre ? N’avons-nous pas ici un avant-goût du bûcher ?

Voici venir la nuit que Jeanne a connue et qu’elle a tant aimée. Le chemin qui va de Domremy au Bois-Chesnu semble une large route jusqu’à la basilique. De là, il redevient un étroit sentier comme au vieux temps et continue vers Neufchâteau. Ce sont les automobiles qui, jusqu’à la basilique, l’ont ainsi frayé, marqué, lustré. Leurs tourbillons de poussière et leurs odeurs d’essences rudes font que, pendant le jour, on a quelque peine à retrouver ici la trace de Jeanne d’Arc. Mais, dès le soir, sous les pommiers et les cerisiers qui bordent le chemin, l’image de l’héroïne reparaît toute pure.

L’étoile qui semble s’allumer au-dessus du Bois-Chesnu, n’est-ce pas l’étoile de Jeanne ? Le village dort, en 1928, exactement comme il dormait cinq siècles auparavant, jour pour jour, ou plutôt nuit pour nuit. Aux fenêtres sans volets brille l’or rouge des derniers feux. Un à un, ils s’éteignent. Ce silence nocturne des villages, maint léger bruit amorti ou monotone l’accentue sans le troubler : remuement d’une bête dans l’étable, glouglou d’une fontaine, chuintement d’une chouette rentrant au clocher : bruits qui semblent eux-mêmes découpés dans du sommeil. Ce silence et ces bruits n’ont pas plus changé que les étoiles au-dessus du cher village. C’était à ces heures, faites pour la méditation, que Jeanne, dans son habituelle posture de repos, à demi-étendue, les genoux serrés dans ses bras, méditait sa mission.

Est-il besoin de rappeler que, dans les derniers mois de son existence terrestre, durant les nuits si longues de sa prison de plus en plus cruelle, les nuits toujours trop courtes de Domremy revenaient à la mémoire et au cœur de la sainte , les pénétrant de leur baume.

 

 

                                                                                                                                                                                               par Emile Hinzelin.

 

 

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Jeanne d’Arc

et

La vocation de la France

 

 

             Jeanne d'Arc

 

 

 

 

             Quatorze ans après la mort de Philippe-le-Bel, roi de France, sa descendance mâle est éteinte ; une des plus effroyables guerres dynastiques que le monde ait connues, bientôt transformée en guerre nationale et accompagnée de guerre sociale et de guerre civile, est venue fondre sur le beau royaume des Capétiens ; et il y en a pour cent vingt-cinq ans, à part la trop courte accalmie d’un règne réparateur, celui de Charles V I.

Les défaites ont succédé aux défaites : qu’ils sonnent lugubrement les noms de Crécy, de Poitiers, d’Azincourt !

Quel est cet aliéné, au teint hâve, aux joues creuses, aux yeux tantôt ardents et tantôt morts, qui croupit dans la vermine ? C’est le roi de France. Quelle est cette intrigante voluptueuse et vénale, à la coiffure surmontée de cornes diaboliques, à la robe peinte et brodée d’étranges figures ? C‘est la reine de France. Quels sont ces princes scandaleux et rapaces, dont l’un ou l’autre est souillé de sang ? Ce sont les oncles et les cousins du roi. Quel est ce jeune homme triste, timide, renié par sa propre mère ? C’est l’héritier du trône, le Dauphin. Sur qui peut-il compter, compter longtemps, compter tout de bon ? Il doute de lui-même. Depuis le traité de Troyes, où est le véritable souverain ? Où est l’autorité légitime ? Charles VII ? Henri VI ? Le Français ou l’Anglais ?

L’état manque d’argent, le peuple est écrasé d’impôts, la défense nationale presque abandonnée. Cependant, en des fêtes somptueuses et bizarres jusqu’à l’extravagance, riches et grands, hommes et femmes, étalent un luxe impudent, des costumes à faire rougir.

A leurs folies, à leurs jouissances dévergondées, répondent les jalouses fureurs et les âpres vengeances des petits. Les grandes villes, Paris surtout, sont livrées au règne de la force brutale, parfois à des bandes de massacreurs dont on ne reverra l’équivalent qu’aux temps de la Saint-Barthélemy ou de la Terreur en 1789, lors de la Révolution.

Dans les campagnes dévastées par l’Anglais, l’Armagnac et le Bourguignon, en proie aux épidémies et à la famine, retentissent des mots de désespoir : « Laissons-là femmes et enfants ! » Remettons-nous en la main du Diable ! »

Remettez-vous en la main de Dieu ! Il a jugé que la Fille aînée de son Eglise a assez souffert, assez expié. Suivant l’audacieuse image du prophète Isaïe. Il donne un coup de sifflet ; le surnaturel sauveur fait irruption dans la trame des événements humains : c’est Jeanne d’Arc.

Relèvement militaire, relèvement national, relèvement moral, relèvement religieux, tout est remis entre les mains de l’enfant de Domremy, la petite paysanne de dix-sept ans.

Tout ! quoi donc l’Eglise avec la France ? Oui, l’Eglise avec la France.

Ne croyez pas que je cède au mouvement d’une imagination échauffée ou que je m’inspire d’une systématisation historique construite longtemps après coup. La merveille, c’est que les plus éclairés des contemporains de Jeanne, les Gerson, les Thomassin, les Christine de Pisan, combiens d’autres, et jusqu’à celui qui sera le pape Pie II, ont reconnu sur le champ la vocation de la France, la marque plus magnifique, plus éclatante que toutes les autres, des dilections de Dieu sur notre pays et exprimé leur confiance que les maux de la france et ceux de l’Eglise prendraient fin par l’effet du même miracle.

Jeanne, Jeanne elle-même qui, dans son oraison, a vu, à genoux devant Dieu, saint Charlemagne et saint-Louis priant pour la France, sait qu’à sa mission nationale, délivrer Orléans, faire sacrer le Roi à Reims, mission qui est la première parce que, sans le succès de celle-là, tout le reste est impossible, Jeanne sait qu’à cette mission elle en joint une autre d’ordre religieux : rendre la France au roi Jésus et restaurer la chrétienté par le rétablissement de la paix et de l’unité.

Un clerc français de l’entourage du Pape, à Rome, écrira sans hésiter : « La pacification du royaume de France aménera le relèvement de la foi. » Et Christine de Pisan portera son immortel jugement. « Destruire l’englescherie » n’est que le moindre des faits réservés à la Pucelle ; elle a plus haut exploit « c’est que la foi ne soit périe ».

Au procès de la réhabilitation, le chancelier de Notre-Dame évoquera la même idée de solidarité entre le salut de la nation française et celui de l’Eglise catholique. Enfin, quand, de nos jours, Pie X béatifiera notre Jeanne, l’oraison liturgique de la fête mettra le sceau officiel de l’Eglise sur la thèse chère à notre piété et à notre patriotisme « O Dieu qui avez suscité la bienheureuse Vierge Jeanne pour défendre la foi et la patrie, ad fidem ac patriam tuendam suscitasti. »

Sans doute Jeanne ne vit-elle de ses yeux de chair ni la complète délivrance du royaume, ni sa totale restauration, ni sa rentrée à pleines voiles dans la discipline catholique. Pourtant, tout ce qu’elle avait voulu et annoncé, tout ce pourquoi elle avait été envoyée de Dieu, s’accomplit après son martyre.

Par son appel au Pape, en 1431,appel repoussé par ses juges, fauteurs de schisme, la sainte héroïne avait montré à ceux qui trop facilement l’oubliaient le centre de l’unité, le chef désigné par le Christ, le Pontife romain. Grâce à elle, la monarchie nationale et la France catholique ramenées à leurs traditions, allaient retrouver leur juste place dans l’Europe et dans l’Eglise. En vérité, Dieu n’a point agi de même avec tous les peuples : non decit taliter omni nationi.

 

 

                                                                                                                                                                                                          Mgr. Baudrillart

                                                                                                                                                                                                                                                           

                                                                                                                                                                                                                                                           

                                                                                                                                                                                                                                                                                                  de l’Académie Française,

                                                                                                                                                                                                                                                                                              

                                                                                                                                                                     Recteur de l’Institut Catholique de Paris.

 

 

 

 

                                                                                                                                                                                        Jeanne d'Arc

 

Jeanne d'ARC

 

 

          L'amour de la patrie est aux peuples ce que l'amour de la vie est aux hommes isolés; car la patrie est la vie des nations. Aussi, cet amour de la patrie a-t-il enfanté, dans tous les temps et dans tous les pays, des miracles d'inspiration, de dévouement et d'héroïsme. Comment en serait-il autrement? Les actes sont proportionnés à la force du mobile qui les produit. La passion du citoyen pour sa patrie se compose de toutes les passions personnelles ou désintéressées dont Dieu a prit le cœur humain : amour de soi-même, et défense du droit sacré que tout homme venant en ce monde a d'occuper sa place au soleil sur la terre; amour de la famille, qui n'est que la patrie rétrécie et serrée autour du cœur de ses fils; amour du père, de la mère, des aïeux, de tous ceux de qui on a reçu le sang, la tendresse, la langue, les soins, l'héritage matériel ou immatériel, en venant occuper la place qu'ils nous ont préparé autour d'eux ou après eux le toit ou dans le champ paternel; amour de la femme, que notre bras doit protéger dans sa faiblesse; amour des enfants, en qui nous revivons par la perpétuité du sang, et à qui nous devons laisser, même au prix de notre vie, le sol, le nom, la sûreté, l'indépendance, l'honneur national, qui font la dignité de notre race.

          En récapitulant par la pensée toutes ces passions instinctives dont se compose pour nous l'amour de la patrie, et en y ajoutant encore une passion naturelle à l'homme, la passion de sa propre mémoire, du souvenir de ses contemporains et de ses descendants, de la gloire de la postérité qui inspire et qui récompense dans le lointain les grands sacrifices, les dénouements jusqu'à la mort à son pays, on comprend que de toutes les nobles passions humaines, celle-là est la plus puissante, parce qu'elle les contient toutes à la fois, et que, s'il y a dans l'histoire des efforts surnaturels à attendre de l'humanité, il faut les attendre du patriotisme.

       Toutes les fois qu'un pareil sentiment monte jusqu'à l'enthousiasme dans un pays, les femmes l'éprouvent au même degré, et même à un degré supérieur aux hommes.

       La patrie ne leur appartient pas plus qu'à nous; mais comme elles sont, par leur nature, plus impressionnables, plus sensibles et plus aimantes, elles s'incorporent plus personnellement, par tous leurs sens et par tout leur cœur, ce qui les entoure. Cette chère et délicieuse image de la patrie se compose, pour elles, de leurs mères, de leurs sœurs, de leurs frères, de leurs époux, de leurs enfants, de leurs foyers, de leurs tombeaux, de leurs temples, de leurs dieux, et elles s'y attachent comme les choses faibles aux choses fortes, avec d'autant plus d'enlacements et de frénésie, que quand ces appuis s'écroulent elles périssent avec leur soutien.

       Et puis (nos pères le savaient), la femme, inférieure par ses sens, est supérieure par son âme. Les Gaulois lui attribuaient un sens de plus, le sens divin. Ils avaient raison : la nature leur a donné deux dons douloureux, mais célestes qui les distinguent et qui les élèvent souvent au-dessus de la condition humaine : la pitié et l'enthousiasme. Par la pitié elles se dévouent, par l'enthousiasme elles s'exaltent. Exaltation et dévouement, n'est-ce pas là tout l'héroïsme ? Elles ont plus le cœur et plus d'imagination que l'homme. C'est dans l'imagination qu'est l'enthousiasme, c'est dans le cœur qu'est le dévouement. Les femmes sont donc plus naturellement héroïques que les héros. Et quand cet héroïsme doit aller jusqu'au merveilleux, c'est d'une femme qu'il faut attendre le miracle. Les hommes s'arrêteraient à la vertu.

       Toutes les nations ont dans leurs annales quelques-uns de ces miracles de patriotisme dont une femme est l'instrument dans les main de Dieu. Quand tout est désespéré dans une cause nationale, il ne faut pas désespérer encore, s'il reste un foyer de résistance dans un cœur de femme qu'elle s'appelle Judith, Clélie, Jeanne-d'Arc, la Cava en Espagne, Victoria Colonna en Italie, Charlotte Corday. a Dieu ne plaise que je compare celles que je cite ! Judith et Charlotte Corday se dévouèrent, mais elles se dévouèrent jusqu'au crime. Leur inspiration fut héroïque, mais leur héroïsme se trompa d'armes : il prit le poignard du meurtrier au lieu de saisir le glaive du héros. Leur dévouement fut célèbre, mais il fut flétri; c'est juste. Jeanne d'Arc ne s'arma que de l'épée de son pays. Aussi fût-elle pour son temps, non pas seulement l'inspirée du patriotisme, mais l'inspirée de Dieu.

       Ces inspirations, dont les crédulités populaires font des merveilles, sont-elles des miracles surnaturels en effet, des évocations matériellement divines, appelant par leurs noms de jeune filles dans la foule, pour leur donner la mission de sauver leur nation ? Ou  sont-elles simplement des miracles naturels, des sommations muettes de l'inspiration intérieure, des contre-coups épars et répercutés de l'impression d'un peuple entier résumant ses souffrances dans un seul cœur, son cri dans un seul cri, et opérant ainsi, par une seule main, le prodige du salut de tous ? L'historien sérieux ne se pose seulement pas ces questions et ces doutes. S'il réprouve le sarcasme, cette impiété contre l'admiration, dont un grand-homme a profané son génie en cherchant à profaner cette pauvre martyre de la patrie, il n'introduit pas dans l'histoire les puérilités de l'imagination populaire. Le miracle de l'héroïsme est plus grand que celui de la légende. Il ne le discute pas, il le raconte. La critique tombe devant la sincérité d'une enfant. L'enthousiasme est un feu sacré. On n'analyse pas la flamme, on s'y éblouit et on s'y brûle. Voilà l'esprit dans lequel nous allons raconter cette histoire, plus semblable à un récit de la Bible qu'à une page du monde nouveau.

 

 

 

                                                                               Jeanne d'Arc sur le bûcher dressé sur la place de Rouen

 

 

 

MORT DE JEANNE D'ARC

 

       Les bourreaux firent marcher la jeune fille vers le bûcher. Son confesseur y monta avec elle, en murmurant à son oreille de pieux encouragements. Son sang-froid ne l'avait pas abandonnée dans son désespoir. Le bourreau ayant mis le feu aux branches inférieures du bûcher, où elle était liée à un poteau : "Jésus ! s'écria-telle, retirez-vous, mon père ! Et quand la flamme m'enveloppera, élevez la croix pour que je la voie en mourant, et dites-moi de saintes paroles jusqu'à la fin."

       L'évêque de Beauvais, comme pour obtenir une suprême justification de son jugement par quelque accusation de la mourante contre elle-même, à l'approche des flammes s'approcha encore du bûcher.

       "Evêque, évêque, lui répéta seulement la pauvre fille, comme si cette voix fût déjà venue d'un autre monde, je meurs par vous !"

       Puis, regardant à travers ses larmes cette multitude avide du supplice de sa libératrice : "O Rouen, dit-elle, j'ai peur que tu n'expies un jour ma mort !" Ensuite elle pria à voix basse.

       Un grand silence avait succédé au tumulte d'une foule agitée. On eût dit que cette mer d'hommes se taisait, pour entendre le dernier soupir d'une vie qui allait s'exhaler. Un cri d'horreur et de douleur sortit du bûcher. C'était la flamme qui montait au vent, et qui s'attachait aux vêtements et aux cheveux de la victime. "De l'eau ! de l'eau !" cria-t-elle, par un dernier instinct de la nature. Puis, entourée comme d'un vêtement par les flammes qui tourbillonnaient autour d'elle, elle ne proféra plus que quelques balbutiements confus et entrecoupés, entendus d'en bas par le confesseur et par Isambart, à travers le pétillement du bûcher. Elle laissa tomber enfin sa tête entourée de flammes sur sa poitrine, et dit d'une voix expirante : "Jésus !"

       On entendit plus sa voix, et on ne retrouva qu'un peu de cendre. Winchester fit balayer cette cendre du bûcher à la Seine pour qu'il ne restât rien sur la terre de France de l'esprit et du bras de cette fille des champs, qui la disputaient à la servitude.

       Il se trompa : Jeanne d'Arc était morte, mais la France était sauvée !

       Telle fut la vie de Jeanne d'arc, l'inspirée, l'héroïne et la sainte du patriotisme français; gloire, salut et honte de sa patrie tout à la fois. Le peuple, pour l'encadrer parmi les plus sublimes, et les plus touchantes figures de l'histoire, n'a pas besoin d'accepter les imaginations enthousiastes de la multitude, ni les explications d'un autre temps. Le sol opprimé souffle son âme sur une jeune fille; sa passion pour la liberté de son pays lui fait le don des miracles, don que la nature fait à toutes les grandes passions désintéressées. S'élançant des rangs du peuple, retenue par ses proches, entraînée par le dévouement, accueillie par la politique, déployée comme un drapeau par les chefs et par les combattants d'une cause perdue, déifiée par le vulgaire, victorieuse des ennemis, abandonnée du roi, des hommes et de son génie après son œuvre achevée, odieuse aux usurpateurs, vendue par l'ambition, jugée par des lâches, condamnée par ses frères, sacrifiée en holocauste aux étrangers, elle s'évanouit comme un météore, dans un sacrifice qui paraît aux uns une expiration, aux autres une assomption dans la mort. Tout semble miracle dans cette vie, et cependant le miracle, ce n'est ni sa voix, ni sa vision, ni son signe, ni son étendard, ni son épée; c'est elle-même. La force de son sentiment national est sa plus sûre révélation. Son triomphe atteste l'énergie de cette vertu en elle. Sa mission n'est que l'explosion de cette fois patriotique dans sa vie; elle en vit et elle en meurt, et elle s'élève à la victoire et au ciel sur la double flamme de son enthousiasme et de son bûcher. Ange, femme, peuple, vierge, soldat, martyre, elle est l'armoirie du drapeau des camps, l'image de la France popularisée par la beauté, sauvée par l'épée, survivant au martyre, et divinisée par la sainte superstition de la patrie.

 

                                                              LAMARTINE

 

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