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(Suite 2)
RHEDÆ
(Rennes-le-Château)

Porte Nord du village de Rhedae (Rennes-le-Château)
XIII
Ceci nous amène à examiner rapidement les causes qui facilitèrent la prise et la destruction de Rhedae.
Vers le commencement du douzième siècle, cette ville tendait à se dépeupler, au profit de Limoux et d’Alet. Les guerres de la Terre-Sainte lui portèrent, pour ainsi dire, le dernier coup. Dégarnie de troupes, n’ayant qu’une population insuffisante, elle dut être négligée et abandonnée par les comtes à qui elle appartenait. Ceux-ci durent trouver trop coûteux l’entretien des fortifications de cette vaste cité dont la ligne de circonvallation était très-étendue. N’occupant plus, du reste, qu’un rang secondaire comme place forte, elle ne pouvait être d’un grand secours pour le maintien du pouvoir des comtes souverains. Tout fait donc présumer qu’elle était presque sans défense quand le roi d’Aragon vint l’attaquer. Peut-être même avait-elle été abandonnée par les officiers du comte Roger qui avaient concentré leurs forces et leurs moyens de résistance dans la citadelle, dans la ville haute, qui ne tomba pas au pouvoir des troupes aragonaises.
La tradition s’est emparée de ce grand fait historique, bien que d’une manière vague. Elle rapporte qu’une grosse armée venant du côté de l’Espagne s’empara du Casteillas, ce fort détaché dont nous avons parlé, et qui gardait les approches de Rhedae, du côté du midi, qu’une fois maîtresse du Casteillas cette armée attaqua et détruisit la ville qui était dans la plaine.
S’il pouvait rester encore quelques doutes sur le fait historique que nous venons de rapporter, si quelques-uns de nos internautes persistaient à partager l’opinion de certains historiens qui prétendent que la cité de Rhedae fut détruite lors de la guerre des Albigeois, en 1220, nous pourrions citer, à l’appui de notre opinion, une preuve qui nous paraît concluante. C’est un acte du mois d’Août 1185, par lequel le vicomte Roger donne en fief, à un de ses principaux officiers, ce qu’il possédait au château de Rhedae, castrum de reddas. Or, comme on ne donne pas, en fief une cité importante qui est la capitale d’un comté, cet acte prouve que cette cité n’existait plus à cette époque. Mais si la citadelle de Rhedae avait résisté à Alphonse II, le pays du Rhedesium fut morcelé. Il existe, en effet, un acte d’inféodation consenti par le roi d’Aragon, en 1193, trois ans avant sa mort, en faveur du comte de Foix qui, aux termes de cet acte, fut mis en possession du Pays de Pierre-Pertuze, du comté de Fenouillèdes et de leurs dépendances. Cette pièce prouve que le Rhedesium n’existait plus. Nous pouvons donc écrire ici :
FINIS RHEDESII.
Nous pourrions écrire aussi : Finis Rhedarum ; car en réalité, l’ancien oppidum wisigothique, la cité jumelle de Rhedae qui avait joué un rôle marquant dans l’histoire pendant plus de cinq siècles n’existe plus, mais sa citadelle existe encore ; nous allons suivre les courtes phrases de son existence, ou plutôt de ses transformations.
XIV

Ruines du château de Coustaussa
Le treizième siècle commance, et, avec lui, la guerre des Albigeois. L’histoire n’attribue aucun rôle au castrum de Rhedae, tandis qu’elle fait mention du siège du château de Coustaussa, son voisin. Il est vrai que le château de Coustaussa dominait la vallée de la Salz qui, des bords de l’Aude, conduit dans les Corbières, et que ce château gênait la marche des croisés tant au fond de la vallée que sur les hauts plateaux. Il est vrai qu’une poignée d’hommes pouvait suffire pour défendre Coustaussa, tandis qu’il aurait fallu une nombreuse garnison pour garder la longue ligne des remparts de Rhedae, dont les fortifications, du reste, avaient dû souffrir lors de la destruction de la ville basse. Peut-être aussi une partie de ces fortifications était-elle détruite, et Guillaume d’Assalit qui était alors viguier du Rhedesium, ne put-il disposer des moyens nécessaires pour mettre l’antique citadelle en bon état. Quoi qu’il en soit, il paraît que Rhedae n’était pas en état de défense, et ne fit aucune résistance aux armées des Croisés. Néanmoins nous n’hésitons pas à croire que les troupes de Simon de Montfort s’en emparèrent, et comme c’était une place de guerre qu’il fallait armer ou détruire, pour la défendre, ou bien pour empêcher qu’elle ne devînt un centre de résistance entre les mains du jeune vicomte de Béziers et de ses alliés, elle fut démantelée et ruinée. Le castrum de Rhedae, l’antique citadelle, qui était toujours la capitale de la contrée, ne fut plus qu’un simple bourg quand la croisade eut fini son oeuvre. Ses remparts et ses tours jonchèrent le sol, et, si la tradition locale ne fait pas erreur, une seule partie de ses fortifications demeura debout, ce fut le castrum salassum ou turris salassa, le donjon qui fait face au midi, cette tour de la Salasse qui fut plus tard convertie en magasin à poudre.
Il existe, du reste, un acte authentique qui prouve à quel rôle fut réduit Rhedae après la conquête des Croisés. On ne l’appelle plus civitas, cité, ni castrum, ville fortifiée. On la désigne sous le nom de villa, c’est-à-dire bourg ou petite ville. Nous lisons, en effet, dans une charte de 1231, le dénombrement des villes, villages et châteaux formant l’assignat de Pierre de Voisins, sénéchal de Simon de Montfort. Dans ce dénombrement figure Rhedae sous la rubrique suivante :
“ Villam de redde pro XXV libris ae IV sols. “
Le bourg de Rhedae était évalué au prix de Burgaragium, Bugarach, un peu au-dessus de la valeur de Cousanum, Couiza et de Caderona, Caderone.
Le petit-fils de Pierre de Voisins, Pierre II de Voisins, sénéchal de Carcassonne, mit Rhedae en état de défense. Il releva les fortifications, il rétablit la double enceinte de remparts : seulement il ne jugea pas à propos de reconstruire le château qui défendait la citadelle du côté du levant et qu’on appelait castrum vanens, mais il fit fortifier le château qui existe encore, et qui a donné son nom au village actuel de Rennes-le-Château.

Château de Rennes-le-Château (Rhedae)
Ce château ne fut pas un simple fort, comme était le castrum valens : ce fut un château-fort muni de tous les moyens de défense, et en outre, une résidence seigneuriale. Ce manoir fortifié, flanqué de tours, les unes carrées, les autres arrondies, est d’une architecture simple tout à fait dépourvu d’ornements. Un vaste préau le précède du côté du levant : des deux autres côtés, il est entouré d’une cour et d’un jardin établis probablement sur l’emplacement qu’occupaient les fossés. Sa face, du côté du nord, se confondait avec la ligne des remparts de la seconde enceinte.

Façades nord du château de Rennes-le-Château (Rhedae)
Rhedae acquit alors une certaine importance comme chef-lieu d’une puissante châtellenie. Cette petite ville comptait une population assez nombreuse, car toute la superficie du plateau était couverte d’habitations. On y remarquait deux églises, l’une dédiée à Saint-Pierre, et l’autre, qui existe encore, dédiée à Sainte-Marie-Magdeleine.
En examinant avec attention les rares vestiges des fortifications de Rhedae on constate des fragments de la maçonnerie de cette époque, soudés, pour ainsi dire, aux restes des remparts qu’avaient construits les Wisigoths.
La restauration de Rhedae, par Pierre II de Voisins, ne fut pas un fait isolé dans la contrée. L’histoire nous apprend qu’après la guerre des Albigeois, les nouveaux propriétaires du sol, aussi bien que ceux des anciens seigneurs qui avaient été remis en possession de leurs domaines, reconstruisirent les châteaux qui avaient été détruits. Tous les châtelains voulaient se prémunir contre les dangers éventuels d’une nouvelle guerre et aussi contre les attaques des nombreuses troupes de routiers et de malandrins qui infestaient la province.
Rhedae, passant successivement au pouvoir des descendants de Pierre de Voisins, fut maintenu en état de défense. L’un d’eux, Pierre III, transforma, vers 1360, le donjon de la Salasse en magasin à poudre. Les compagnies de routiers ravageaient alors la province de Languedoc, saccageant et incendiant les villes, les bourgs et les châteaux. Et, comme si ce n’était pas assez de ce fléau, la peste vint, en 1361, s’abattre sur la contrée, dépeuplant les villages presque en entier. Le pays commençait à se remettre de ces terribles épreuves, quand un corps d’espagnols et de catalans, qui avaient traversé la frontière avec le comte de Transtamarre, s’abattit sur le Roussillon et sur le Languedoc. Tous les barons du pays s’armèrent contre ces terribles envahisseurs.
Pierre III de Voisins, seigneur de Rhedae, dominus de Reddis, ainsi qu’il s’intitulait lui-même, se mit à la tête d’un corps de troupes, et s’avança dans le Pays de Fenouillèdes pour arrêter la marche de ces ennemis ; mais il fut vaincu, et ne put s’opposer à leur passage. Obligé de battre en retraite, Pierre de voisins se réfugia dans la citadelle de Rhedae et se prépara à la défense.
L’armée espagnole ou plutôt ce corps nombreux de bandits qui se livrait dans toute la contrée aux actes de cruauté les plus atroces, ravagea tout le pays de Fenouillèdes, le Pays de Pierre-Pertuze, et quitta, au printemps de l’année 1362, les hauts plateaux des Corbières pour descendre vers la vallée de l’Aude. Les chefs de ces bandits, qui avaient déjà lutté contre Pierre de Voisins, résolurent de s’emparer de la ville fortifiée de rhedae, et vinrent en faire le siège.
La tradition de cet évènement mémorable s’est conservée depuis cinq cents ans dans le modeste village qui occupe la place où était Rhedae. Nous ne saurions mieux faire que la transcrire ici presque textuellement :
“ Une troupe très-nombreuse de bandits catalans,
“ venant des Corbières, arriva un jour devant Rhedae
“ par le chemin qui vient du hameau des Patiassés
“ (situé entre Rennes-les-Bains et Rennes-le-Château).
“ Ils incendièrent, après l’avoir pillé, un grand cou-
“ vent fortifié qui était aux abords et presque à l’en-
“ trée de la ville, du côté du levant, au lieu dit la Foun
“ de l’Aousi. Les ruines de ce couvent existaient en-
“ core à la fin du dernier siècle. La ville opposa une
“ vive résistance, mais elle finit par succomber devant
“ un ennemi disposant de forces supérieures et muni
“ d’artillerie. La poudrière de la Salasse ayant été
“ incendiée, une large brêche fut pratiquée dans les
“ murs de la ville qui offrit alors un accès facile aux
“ assaillants. Ceux-ci, maîtres de la place, rasèrent
“ les fortifications, détruisirent l’église de Saint-
“ Pierre et firent de Rhedae un monceau de ruines. Le
“ manoir seigneurial et quelques habitations survé-
“ curent à ce désastre.”
A l’appui de l’authenticité de ce récit, les vieillards de Rennes-le-Château rapportent que l’on a trouvé, à diverses reprises, dans la plaine qui s’étend sous le village, des débris d’armes et des boulets de petit calibre.
Ainsi finit, en 1362, la ville de Rhedae ; et le modeste village qui fut construit sur son emplacement, et qui recouvre à peine le tiers de la superficie qu’occupait l’antique citadelle, n’a pas même conservé le nom historique de Rhedae ; il s’appelle rennes-le-Château. Puis, comme pour épaissir les voiles de l’oubli sur la cité wisigothe, la contrée dont elle avait été la capitale, le Rhedesium ou pays de rhedae, perdit également son nom. Il s’appela le Haut-Razès, et il forma l’un des territoires qui composèrent le vaste diocèse d’Alet.
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