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COUIZA
(Suite 2)
NOTES BIOGRAPHIQUES
Sur le Vicomte Guillaume de Joyeuse,
Lieutenant au Gouvernement du Languedoc.
Parmi les grandes familles qui ont occupé un rang éminent dans la province du Languedoc, pendant la seconde moitié du seizième siècle, on remarque, notamment, la maison de Joyeuse. Nulle autre n’y joua un rôle aussi important. Nulle autre aussi ne fut plus cruellement éprouvée.
La grande figure qui domine cette race est celle de Guillaume-Baptiste, ou Guillaume V, qui, dès ses jeunes années, avait été pourvu de l’évêché d’Alet et était destiné à entrer dans les ordres. Mais, en 1552, la mort de son frère aîné, Jean-Paul, qui, sortant à peine des pages, fut tué dans la brillante défence de Metz, changea sa situation. Guillaume de Joyeuse eut dès lors en perspective l’héritage des titres et dignités du vicomte Jean, son père, ainsi que la mise en possession des châteaux et des terres que sa mère Françoise de Voisins possédait dans le diocèse d’Alet.
En 1559, après avoir cédé son titre épiscopal à son frère puiné, Guillaume de Joyeuse, âgé de vingt-trois ans, épousa Marie de Bartanay, fille de Réné de Bartanay, comte du Bouchage. Sur six garçons issus de ce mariage, - car nous ne parlons pas d’Honorat qui mourut enfant, - quatre ont occupé une place marquée dans l’histoire.
Nous n’avons pas la prétention, dans le cadre restreint de cette étude, de retracer, même sommairement, la carrière politique et militaire de Guillaume de Joyeuse. Les historiens ne lui ont pas manqué. Le but que nous nous proposons est, seulement, de citer quelques traits particuliers de sa vie de châtelain, et de rectifier les erreurs auxquelles ont donné lieu le récit de sa mort et l’indication du lieu de sa sépulture.
Guillaume de Joyeuse était marié depuis un an quand survint, en 1560, la mort de son père, auquel il succéda, immédiatement, dans la charge de lieutenant du roi en Languedoc.
Il prit alors le titre de Vicomte de Joyeuse, seigneur de Loudun, de Saint-Didier, de Puyvert, d’Arques, et de Couisan, au lieu de la simple qualification de baron d’Arques qu’il avait portée jusqu’alors. Il possédait le château de Joyeuse, dans le Vivarais, un palais à Pamiers, une maison à Montpellier; mais l’une de ses résidences favorites était le château de Couisan – aujourd’hui Couiza – dont la construction ne fut terminée qu’en 1562.
Bâti sur la rive droite de l’Aude, dans un vallon pittoresque situé à peu de distance de la ville d’Alet, le château de Couiza, dont l’état de conservation laisse, aujourd’hui encore, bien peu à désirer, se fait remarquer par son architecture sévère relevée par une ornementation de bon goût qui s’étale, notamment, sur l’une des façades de la cour intérieure. Cette construction commencée vers 1540 par le vicomte Jean de Joyeuse, sur un plan que l’on attribue à Nicolas Bachelier, architecte Toulousain, était à peine terminée quand Guillaume de Joyeuse et sa jeune épouse s’y installèrent, et c’est dans ce manoir princier que vinrent au monde la plupart de leurs enfants.
Quinze années environ s’étaient écoulées quand un parti considérable de calvinistes attaqua le château de Couiza, en décembre 1576. Guillaume de Joyeuse n’ayant avec lui qu’une poignée d’hommes d’armes et quelques vassaux opposa la plus énergique résistance. Quand l’ennemi se fut rendu maître de la place il aurait voulu lutter encore; mais cédant aux instances de la vicomtesse il essaya de se sauver avec Anne d’Arques, son fils aîné, âgé de 15 ans, Brassac, son capitaine des gardes, et douze de ses officiers. Il parvint en sortant du château par un souterrain qui existe encore. La vicomtesse entourée de ses jeunes enfants s’était retirée dans son oratoire, et attendit avec calme et résignation le sort qui lui était réservé. Grâce à l’intervention de l’un des chefs de l’armée assaillante, on se contenta de la retenir prisonnière, et de lui rendre la liberté quelques jours après, moyennant le paiement d’une rançon. Cette scène de désolation impressionna vivement les jeunes fils du vicomte, notamment Henri et Scipion qui, plus tard, n’oublièrent jamais cette terrible journée, et firent payer cher aux Calvinistes l’assaut et le pillage du manoir paternel.
Cet épisode dramatique de son existence militaire, loin de diminuer la prédilection qu’avait Guillaume de Joyeuse pour son château de Couiza, ne fit que lui rendre cette résidence plus chère. Cet homme, que l’on aurait pu croire uniquement préoccupé de donner satisfaction à des projets d’ambition qu’autorisaient amplement son nom et ses services, n’aspirait, au contraire, qu’à se dérober souvent aux soucis de sa charge. Quand il avait pris part comme commissaire du roi aux travaux des états de la province, où il avait trois fois le droit de représentation en sa qualité de baron terrier de trois seigneuries, il se montrait tout aussi assidu aux réunions de l’assiette d’Alet, et ne dédaignait pas, en outre, de s’occuper des intérêts de ses vassaux, de concert avec les consuls des nombreux villages que l’on comptait sur ses domaines. Il était heureux alors de vivre en gentlhomme campagnard dans ses terres de Couiza et d’Arques, en compagnie de son frère l’évêque d’Alet qui, chassé de cette ville par les religionnaires, après la destruction de son palais épiscopal, et la démolition de la magnifique cathédrale de Sainte-Marie, s’était retiré dans le château de Couiza, et s’était fait le précepteur de ses neveux, ces illustres rejetons de la maison de Joyeuse.
Après la réussite du coup de main qui les avait rendus maîtres du château de Couiza, - mais pour bien peu de temps, car un mois après ce manoir était rentré au pouvoir du vicomte de Joyeuse, - les Calvinistes avaient couvert le pays de ruines. Des villages entiers avaient été complètement détruits; et les habitants réduits à la plus affreuse misère erraient dans les bois et sur les chemins, sans pain et sans abri. Guillaume de Joyeuse entreprit alors une grande oeuvre d’humanité, une oeuvre d’assistance des plus louables. Il résolut de créer dans le bourg de Couiza, qui était le centre de sa baronnie, une cité qui serait la véritable cité de l’asile. Il voulut fonder la ruche qui abriterait ces essaims de malheureux déshérités. Il avait compris que, dans ce temps de guerre et de dévastations continuelles, ce serait peine perdue que de relever sur divers points isolés les ruines encore fumantes de quelques villages et hameaux qui ne pourraient pas être efficacement protégés contre de nouvelles attaques; et voilà pourquoi il eut l’air d’obéir à une fantaisie princière en fondant une nouvelle ville, tandis qu’il faisait oeuvre de prévoyance et de protection réelle en faveur de ceux qu’il voulait adopter.
Le village de Couiza, situé sur les bords de la petite rivière de la Salz qui le sépare du parc du château, ne comprenait à cette époque que 133 feux taillables, ce qui fait supposer une population d’environ 700 âmes. Du côté du couchant, la dernière ligne de maisons confinait à une petite plaine qui s’étend le long du cours de l’Aude. C’est dans cette plaine que Guillaume de Joyeuse décida de créer de nouveaux quartiers contigus à l’ancien village, et dont l’étendue pouvait permettre l’installation d’une population nouvelle de quinze cents âmes pour le moins, et même de deux mille âmes. Il ne se borna pas à préparer des concessions de terrains délimités suivant la fantaisie des immigrants, à fur et à mesure qu’ils se présenteraient : il voulut leur offrir un plan d’ensemble complet de la cité-refuge qui devait être, non un entassement irrégulier de demeures, mais une ville tout-à-fait régulière et édifiée d’après le type qu’offrait la ville de Carcassonne. L’assemblage ds rues destinées à desservir ce nouveau quartier avait la forme d’un damier, composé de cinq rues longitudinales et de quatre rues transversales, exactement espacées, se croisant toutes à angles droits, et ayant une largeur uniforme de cinq mètres. De deux côtés les têtes de ligne devaient se souder à des quais longeant les lits de l’Aude et de la Salz. Pour attacher son nom d’une manière durable à cette oeuvre de bienfaisance et lui conserver, pour ainsi dire, un caractère patriarcal, le vicomte de Joyeuse donna à chacune de ces rues le nom d’un membre de sa famille.
Elles s’appellèrent et s’appellent encore :
Rue de Joyeuse – Saint-Jean – Sainte-Marie – Saint-Guillaume – Sainte-Anne – Saint-François – Saint-Henri – Saint-Georges – Scipion.
Les terrains qui bordaient ces voies urbaines devaient être concédés par baux emphytéotiques ne donnant lieu qu’à des redevances illusoires, ou, pour mieux dire, honorifiques. Quant aux autres avantages que le noble vicomte se proposait de faire aux colons qui voudraient profiter de ses offres généreuses, nous n’avons pas de données assez exactes pour pouvoir les énumérer. Nous pouvons, seulement, supposer qu’il était entré dans une trop bonne voie pour laisser son oeuvre incomplète, s’il avait dépendu de lui de la terminer. En effet, en attendant que la nouvelle cité projetée sortît de sa période d’incubation, Guillaume de Joyeuses, aidé de son frère l’évêque d’Alet, et activement secondé par le sieur Jehan de Juvissy, commandant des châteaux et villages de sa baronnie, avait remédié aux désastres causés dans son château et dans son village de Couiza, lors de l’attaque des Clvinistes. Il avait restauré et agrandi l’église du bourg, qui était l’ancienne chapelle d’un prieuré de Bénédictins. Il avait obtenu du roi Charles IX des lettres patentes qui instituaient dans le bourg de Couiza deux foires annuelles et un marché hebdomadaire, dont il avait assuré le fonctionnement régulier par l’adoption d’un système complet de poids et mesures. Tout nous prouve donc que Guillaume de Joyeuse ne négligeait rien pour que l’oeuvre de bienfaisance qu’il avait entreprise portât tout ses fruits. Il voulait terminer sa tâche, et il voulait, aussi, que ce coin de terre qui lui était si cher, et qui était le berceau de ses enfants devint, après sa mort, son lieu de repos.
Dieu n’exauça que ce dernier voeu. Les guerres de religion continuant à désoler le diocèse d’Alet, il fallut remettre à des temps meilleurs la mise en pratique du projet de colonisation. L’heure n’était pas venue où les hommes valides de la contrée pouvaient déposer la pique et l’arbalète pour manier la charrue et la truelle. L’attente fut longue; et lorsque le pays commençait à être pacifié, la mort surprit le noble vicomte au moment où il aurait pu donner suite à son projet de groupement et de colonisation. Il mourut le 6 janvier 1592.
Après avoir essayé de faire connaître, sommairement, ce qu’était comme homme privé Guillaume de Joyeuse, qui n’a été envisagé par les historiens que par son côté politique, il nous reste à traiter un sujet sur lequel les historiens et les chroniqueurs ne sont pas d’accord. Nous voulons parler du lieu de sa mort et du lieu de sa sépulture. Divers auteurs, notamment Dom Vaissette dans son histoire du Languedoc, affirment que Guillaume de Joyeuse mourut, vers la fin de 1501, dans son château de Couiza. Nous trouvons, en outre, dans l’Anonyme de Montpellier, dans cet ouvrage que consultent toujours avec fruit ceux qui fouillent dans les annales du Languedoc, le passage suivant :
“ Le vicomte de Joyeuse, Lieutenant-Général en Languedoc, par la cession du comte de Villards, tint une assemblée à Montpellier le 25 Mars 1561. Guillaume de Joyeuse fut évêque d’Alet, pendant la vie de Jean-Paul de Joyeuse son frère. On dit que Guillaume de Joyeuse était fort âgé lorsqu’il mourut dans son château de Couissac, au diocèse d’Aleth, en décembre 1591, ou janvier 1592. Mais il avait tout au plus 71 ans, ne pouvant être né avant l’an 1520. Je fixe sa mort à cette date, mais les historiens ne parlent pas clairement sur cela. J’ai fait faire des recherches inutiles à Couissac sur la date précise de la mort de ce maréchal, sur son tombeau et sur les particularités de sa vie.”
Telles sont les autorités généralement incontestées sur lesquelles on s’appuyait pour affirmer que Guillaume de Joyeuse était mort dans son château de Couiza, lorsque M. Fonds-Lamothe, avocat de Limoux, dans son excellente notice historique sur cette dernière ville, publiée il y a déjà plusieurs années, a émis une opinion contraire, qu’il appuye de preuves irréfutables. Il nous apprend, en citant le registre public de la ville de Limoux, que le vicomte Guillaume de Joyeuse mourut de la peste dans cette ville, le 24 janvier 1592 à onze heures du soir; que le lendemain, après la cérémonie de l’absoute, son corps fut exposé pendant deux jours dans une des salles de l’officialité, revêtu d’une tunique de velour noir,portant le collier de l’ordre et l’épée au côté, et que le 27, ayant été transporté par les soldats de sa garde dans l’église des cordeliers, où l’on avait dressé une chapelle ardente, il avait été déposé dans un tombeau de cette église.
Le docteur Buzairies, qui a fait aussi de fructueuses recherches dans les annales de Limoux, sa ville natale, s’exprime sur ce sujet, dans les mêmes termes.
Tel est le problème historique qui s’est dressé devant nous quand, nous occupant d’une monographie du château de Couiza, nous avons eu à faire une étude sur Guillaume de Joyeuse, l’un des fondateurs de ce château. Ce problème était d’autant plus compliqué que les opinions émises de part et d’autre sont formulées par des écrivains tout-à-fait dignes de foi. Nous en avons trouvé la solution; et cette solution nous prouve que la divergence des opinions que nous avons citées conciste dans ine confusion qu’expliquent suffisamment des circonstances exceptionnelles.
Il résulte, en effet, des recherches auxquelles nous nous sommes livré que le vicomte Guillaume de Joyeuse est réellement mort à Limoux, ainsi que l’affirment MM. Fonds-Lamothe et Buzairies, mais que sa dépouille mortelle repose dans l’église de Couiza. Cette dernière circonstance était bien de nature à faire supposer à Dom Vaissette, et à l’auteur de l’Anonyme que la mort de ce personnage avait eu lieu dans son château de Couiza, à côté de l’église paroissiale où se trouvent déposés ses restes.
Voici, à l’appui de notre assertion, la copie d’un document authentique puisé dans les archives de la ville de Narbonne :
“ Le vingt-septiesme may mil cinq cens nonante trois, dans le grand consistoire de la maison consulère de Narbonne, par devant MM. Rouhard, Vidal, Campredon, Lavedan et Mallard, consuls, ont remontré à MM. de Conseilh, icy présans, qu’ils avaient fait convoquer le conseil général, à la manière accoustumée, pour leur communiquer les lettres que nosseigneurs le Cardinal et Duc de Joyeuse leur ont escriptes de se trouver mardy prochain, à Limoux, pour assister aux honneurs funèbres de feu Monseigneur le Mareschal et plusieurs autres affères de la dite ville. Et de tant que les conseilhers ne s’y sont voulus trouver, les ont priés, sur ce leur donner leur avis. Et enlà, après c’estre assamblés, ont été d’advis convocquer le dit conseilh samedy prochain et cependant deux d’entr’eulx se doibvent préparer pour aller audit Limoux pour assister aux dicts honneurs.”
(Suit la délibération portant que le premier et le second consul se rendront à Limoux, et qu’ils seront desfrayés par la ville.) “ Et ainsin a esté conclud et arresté par la plus grande voix et oppinion du dict sieur de Malveusin – Lassère, notaire signé.”
Si le contenu de cette pièce prouve que le vicomte Guillaume de Joyeuse était mort à Limoux, sa date (27 mai 1593) prouve, surabondamment, que les honneurs funèbres qu’on devait lui rendre à ce moment ne se rapportaient pas à ses obsèques, mais bien à l’exhumation de sa dépouille mortelle qui, sur l’invitation de ses deux fils, devait être transférée à Couiza. Aucun document mentionnant expressément cette translation n’est venue à notre connaissance, car les registres des sépultures de la paroisse de Couiza antérieures à 1668 ont disparu; mais nous avons une autre preuve à invoquer.
il existe, en effet, dans l’églisede Couiza quatre tombeaux, qui, malheureusement, ont été recouverts d’un dallage, lors de la reconstruction de cet édifice, en 1855. L’un de ces tombeaux, en marbre rouge, situé sur le côté gauche de la grande nef, au pied des degrés du sanctuaire, porte une inscription presque entièrement effacée, et un écusson qu’accompagne le grand cordon du Saint-Esprit. Cet écusson, à l’état fruste, est chargé de signes héraldiques difficiles à reconnaître, mais on retrouve, cependant, des vestiges des armoiries de la famille de Joyeuse. Or, si l’on fait une sorte de revue funéraire des membres de cette illustre maison, on en arrive à établir que le vicomte Guillaume de Joyeuse est le seul qui a pu avoir sa tombe dans l’église de Couiza. Telle avait été, il y a tout lieu de le croire, sa volonté dernière, et ses deux fils, le cardinal archevêque de Toulouse et le duc Henri de Joyeuse, les seuls survivants de sa nombreuse famille, ne firent, sans doute, que se conformer à ses intentions.
Après avoir consacré ces quelques pages à la mémoire de Guillaume de Joyeuse, ce loyal gentilhomme qui, bien que fervent catholique, refusa, après la Saint-Barthélemy, de faire égorger les protestants de Béziers, il nous reste, pour compléter cette étude, à dire ce qu’il advint de son projet de création de nouveaux quartiers dans le bourg de Couiza. Peandant plus de deux siècles les rues qu’il avait tracées, et qui devaient être les artères d’une cité de l’avenir, ne furent bordées que de jardin et de quelques rares constructions. Mais depuis une quarantaine d’années, par suite de l’augmentation de la population, et grâce aussi à l’aisance qui s’est répandue dans la commune de Couiza, le quadrilatère autrefois désert s’est garni sur certains points de nombreuses maisons d’habitation, et l’ont peu voir, dès aujourd’hui, réalisé, en partie, le rêve qu’avait caressé le vicomte Guillaume de Joyeuse.
NOTICE
sur divers membres de la famille de Joyeuse.
Guillaume de Joyeuse eut sept garçons :
Anne, François, Henri, Antoine-Scipion, Georges, Claude et Honorat. (voir sur le site généalogique de Jean-Claude)
Les guerres de religions et les maladies pestilentielles si fréquentes à cette malheureuse époque avaient réduit considérablement la population dans tout le diocèse d’Alet. d’un autre côté, le commerce et l’industrie se ressentaient de l’état d’agitation continuelle dans lequel se trouvait la province du Languedoc pendant la seconde moitié du seizième siècle. cette situation générale ne pouvait être que préjudiciable au bourg de Couisan; mais ce qui porta le dernier coup au projet qu’avait caressé Guillaume de Joyeuse, c’est, qu’après lui, aucun de ses enfants ne put continuer son oeuvre, ainsi que nous le verrons dans la courte notice que nous devons consacrer à chacun d’eux.
Après la mort du vicomte, Marie de Batarnay, sa femme, résida tantôt à Limoux, tantôt dans le château de Couisan, où elle vivait dans la tristesse et dans l’isolement, n’ayant auprès d’elle que sa petite-fille une enfant de neuf ans, Henriette-Catherine, fille de Henri de Joyeuse, comte du Bouchage, et dont la mère était morte en 1587. Cette enfant était l’unique consolation de la vicomtesse Marie qui, dès les premières années de son veuvage, eut encore la douleur de perdre deux de ses fils Antoine-Scipion le chevalier de Malte, et Georges vicomte de Saint-Didier. De sa nombreuse famille il ne restait plus à la vicomtesse Marie de Batarnay que deux fils, Henri comte du Bouchage, qui avait rompu sa vie monastique et combattait à la tête de la ligue, et François II qui était archevêque de Toulouse. Deux ans après la mort de son noble époux, elle se retira dans cette dernière ville, où elle mourut dans les bras de ses deux fils et de sa petite-fille.
Anne de Joyeuse, l’aîné des fils de Guillaume, et qu’on appela Anne d’Arques naquit vers la fin de l’année 1560. Il eut pour parrain le connétable Anne de Montmorency. Il est question de lui pour la première fois lors de la réunion des Etats de la province à Montpellier, en 1577; il y figure sous le nom de baron de Couisan. Présenté deux ans après par son père à la cour du roi Henri III, il entra en faveur auprès de ce prince qui le combla d’honneurs et de dignités. En 1581, il fut fait duc et pair et prit le titre de duc de Joyeuse, avec droit de prééminence sur les autres grands officiers de la couronne. Un an après, le roi le créa capitaine de cent hommes d’armes de ses ordonnances, et lui donna pour femme Marguerite de Lorraine, soeur de la reine Louise. Premier gentilhomme de la chambre, il obtint bientôt le gouvernement de la Normandie et la charge éminente d’amiral de France.
Il vint à cette époque, en 1582, en Languedoc, visiter sa famille. La noblesse de la province alla au devant de lui à Nissan, près de Béziers. Il est probable que pendant son séjour dans la province, il passa quelques jours au château de Couisan; car pendant ses jeunes années il s’était beaucoup plu dans cette résidence.
En 1587, il commandait en chef l'armée royale à la bataille de Coutras contre le roi de Navarre qui devint plus tard Henri IV. Parmi les officiers qui l'entouraient était son jeune frère Claude de Saint-Sauveur, à peine âgé de dix sept ans, qui sortait des pages. Quand le duc Anne de Joyeuse vit la bataille perdue il ne chercha point à se sauver " Que faut-il faire ? " lui dit Labastide, capitaine de ses gardes. -" Mourir " (Brantôme) répond Joyeuse . Et en parlant ainsi, il s'enfonça dans les bataillons ennemis avec son frère Claude et ils furent tués tous les deux. Ils tombèrent en répétant comme cri de ralliement la devise de leur famille : Alacriter (Joyeusement). Après la bataille le roi de Navarre fit chercher les corps des deux malheureux frères et les envoya à leur famille.
Antoine-Scipion de Joyeuse, quatrième fils de Guillaume, chevalier de Malte, était devenu, grâce à la protection du duc Anne son frère, grand prieur de cet ordre à Toulouse, quand Anne, son frère fut tué à Coutras. Il hérita du titre de Duc, après que le pape l'eut relevé de ses engagements de l'ordre de Malte. A peine investi de son titre, il fut nommé commandant général ezn Languedoc pour la Ligue. Très jeune encore, car il avait à peine vingt-deux ans, il lutta en Languedoc à la tête d'un puissant corps d'armée contre les religionnaires et contre les royalistes. En 1588, il fit le siège et le blocus de la ville de Brugairolles, près de Limoux. Après s'en être emparé, le 21 janvier 1588, il y fit mettre le feu et en fit raser les murailles jusqu'aux fondements. De concert avec son père, il continua de tenir la campagne pendant les deux années suivantes, et il s'empara de plusieurs villages des environs de Limoux et de Carcassonne. En 1591, il occupait avec son père la Cité de Carcassonne ; mais comme la ville basse lui résistait et tenait pour le roi, il en fit le blocus et, après s'en être emparé, il détruisit les deux citadelles qui la défendaient.
C'est sur Antoine-Scipion que le maréchal Guillaume de Joyeuse avait fondé toutes ses espérances après la mort du Duc Anne, son fils aîné. Il comptait sur lui pour continuer l'illustration de sa race. De son côté Scipion était complètement soumis et dévoué à son père. En 1589, quelques mois à peine avant sa mort, le roi Henri III avait combiné le mariage du jeune duc avec Marguerite de Montmorency en lui offrant la charge de Grand-Maître de sa maison. Guillaume de Joyeuse ne voulant pas faire la paix avec Montmorency refusa pour son fils cette brillante alliance et les faveurs du roi. En 1592, après la mort de son père, Antoine-Scipion devint l'un des plus puissants chefs de la Ligue ; il fut fait maréchal de France et lieutenant du roi en Languedoc, mais il ne jouit pas longtemps de cette brillante situation. Au mois d'octobre de la même année, il commandait l'armée de la Ligue à la bataille de Villemur. Le sort des armes ne lui fut pas favorable. La bataille était perdue. Scipion qui avait combattu avec un grand courage voyait avec une douleur mêlée de rage son armée en déroute. Les officiers qui entouraient durent lui faire violence pour lui faire quittle champ de bataille. Son frère puiné, Georges, vicomte de Saint-Didier, était à ses côtés. Il avait fait lui aussi des prodiges de valeur. Pour échapper aux poursuites de l'ennemi, il fallait traverser le Tarn. Sous la conduite d'un guide fidèle, le duc Scipion, son frères Georges et quelques-uns de leurs officiers s'engagent dans un gué qui paraissait offrir un passage facile. Malheureusement, le Tarn gonflé par les pluies coulait avec rapidité. Les chevaux perdent pied, celui que montait Scipion surexcité et n'obéissant plus au mors est entrainé par le courant. Tandis que quelques officiers parvenaient à gagner la rive, Georges voyant le danger que court son frère, se porte à son secours et parvient à le rejoindre. Alors les deux malheureux frères, la main dans la mainh, essayent de lutter ensemble contre les eaux du fleuve ; mais les vagues les entraînent dant un gouffre où ils trouvent la mort. Quelques-uns de leurs officiers essayent en vain de les secourir. Quelques heures après, on relevait deux cadavres que les eaux avaient poussés jusqu'à un amas de roches qui formait un petit îlot au milieu du fleuve.
Le corps de Georges fut remis à sa famille. Antoine-Scipion eut de magnifiques funérailles à Toulouse, et on lui fit le grand honneur de l'inhumer dans le choeur de la cathédrale de Saint-Etienne.
Ce fut une terrible coïncidence danq les destinées de la maison Joyeuse que cette double catastrophe enlevant, simultanément, chaque fois, deux frères qui, à peine entrés dans la vie, s’étaient distingués par une grande bravoure et se montraient dignes du nom qu’ils portaient.
Honorat étant mort treè-jeune, il ne restait plus de cette illustre famille que François II et Henri du Bouchage. Nous allons retracer aussi brièvement que possible les diverses phrases de leur existence.
François, le second fils de Guillaume de Joyeuse, que l’on appela François II, à cause de son oncle l’évêque d’Alet, fut destiné, dès ses premières années à entrer dans les ordres, et confié spécialement aux soins de son oncle qui s’occupa de son éducation. Il passa son enfance une grande partie de sa jeunesse au château de Couisan (Couiza), où les pieux enseignements de sa mère le prédisposaient à la carrière ecclésiastiques. Son oncle étant mort en 1579, il lui succéda, à l'âge de dix-sept ans, sur le siège épiscopal d'Alet et il continua de résider au château de Couisan jusqu'à ce que, en 1582, à peine âgé de vingt ans, il fut promu à l'archevêché de Narbonne. Deux ans après, il fut nommé cardina&l, et il fut investi en même temps de l'archevêché de Toulouse, tout en conservant celui de Narbonne. Il possédait diverses abbayes, entre autres celle de Lagrasse (Aude).
En décembre 1592, apeès la mort de son frère Scipion, le parlement de Toulouse, tout dévoué au parti de la Ligue, voulut lui décerné le titre de gouverneur du Languedoc, mais le pieux prélat refusa par des raisons de conscience. Sa mère Marie de Batarnay alors retirée auprès de lui, l'encopuragea dans cette résolution.
En 1600, il devint archevêque de Rouen par suite d'une permutation avec Louis de Vervins à qui il céda l'archevêché de Narbonne. Il garda jusqu'à sa mort le siège archi-épiscopal de Toulouse et l'évêché d'Alet.
On fait de lui un grand éloge dans le monument historique intitulé Gallia christiana.
Il fut élevé avec soin dans les sciences. Il fut successivement Archevêque de Narbonne, de Toulouse et de Rouen ; et fut chargé des affaires les plus importantes par les Rois Henri III, Henri IV, et Louis XIII. Il se fit généralement estimer par sa prudence, par sa sagesse et par sa capacité dans les affaires, et mourut à Avignon, étant doyen des Cardinaux, le 23 Août 1615, à 53 ans à Avignon, après avoir fondé un Séminaire à Rouen, une Maison pour les Jésuites à Pontoise et une autre à Dieppe pour les Pères de l'Oratoire.
Honorat mourut très jeune dans le château de Couisan. Il repose aux côtés de son père dans l’église de cette commune. On remarquait, naguère, vers le milieu de la nef, la dalle de marbre qui recouvre ses dépouilles.
Henri de Joyeuse était le troisième fils du vicomte Guillaume. Il porta dès ses jeunes années le titre de comte du Bouchage, du chef de sa mère qui possédait une terre de ce nom en Dauphiné. Il était né en 1563. D’une taille élevée, il se signala d'abord dans le métier des Armes, où il donna de bonne heure des preuves d’un grand courage. Il épousa à l’âge de vingt-ans Catherine de Nogaret de Lavalette, dont il eut une fille Henriette-Catherine qui devint plus tard duchesse de Guise. Trois ans après son mariage il devint veuf. Il renonça alors, tout à coup, aux brillantes espérances que lui promettaient son nom et la faveur dont il jouissait.
Malgré les prières de sa famille et du roi lui-même, il entra au couvent de Thou, et se fit Capucin. Il fit Profession de foi sous le nom du Frère Ange, et demeura dans cet Ordre jusqu'en 1592, année où il se rendit en Languedoc. Ange le capucin suivit pendant quelques mois le corps d’armée de la Ligue que commandait son frère, Antoine-Scipion.
Le jour de la bataille de Villemur, il insista vainement auprès de celui-ci pour qu’il refusât le combat parce qu’il n’était pas en force. Puis, au moment où l’action allait s’engager, il célébra la messe en grande pompe au milieu du camp. Quand la bataille fut perdue, tandis que ses deux frères Antoine-Scipion et Georges périssaient noyés dans le tarne, il fut sauvé par les débris de la Compagnie de Joyeuse en traversant un pont de bateaux qui se rompit dès qu’il eut atteint l’autre bord. Il rentra à Toulouse deux jours après, accompagnant les corps de ses malheureux frères.
Les ligueurs de la province n’avaient plus de chef par suite de la mort d’Antoine-Scipion. Le cardinal-archevêque, son frère, refusait le titre de gouverneur du Languedoc. Les Seigneurs du Languedoc, les barons d’Ambres, Moussoulens et Hounoux , du parti de la Ligue, décidèrent et l'obligèrent à se mettre à leur tête. Celui-ci céda à leurs instances, quitta sa robe de moine, endossa un habit de cavalier et se rendit, entouré d’une nombreuse escorte, à la cathédrale de Saint-Etienne. Il se mit à genoux devant le maître-autel, prit une épée nue déposée sur l’autel, et, se redressant fièrement, il jura qu’il était prêt à donner sa vie pour la défense de la religion.
Dès qu’il fut rentré à l’archevêché, il endossa son harmais de guerre, reprit le collier du Saint-Esprit qu’il avait reçu du roi Henri II , et annonça qu’il était prêt à remplir ses devoirs.
Le parlement ne se borna pas à confirmer le choix fait par la noblesse. Il adressa au Pape une supplique afin qu’il octroyât les dispenses nécessaires, et par le crédit du Cardinal de Joyeuse son frère, devenu le nouveau chef des ligueurs , il fut mis en possession du titre de duc de Joyeuse qu’il héritait de son frère et de tous les biens de sa famille.
L’armée de la Ligue était alors réunie à Azille. Henri de Joyeuse alla en prendre le commandement, après avoir confié à son frère le cardinal la haute direction des affaires.
Carcassonne tenait alors pour la Ligue, et c’est dans cette ville que furent convoqués, au commencement de l’année 1593, les Etats de la province. Cette assemblée, dans laquelle figurèrent, à côté des prélats et de la noblesse du Languedoc, les consuls de diverses villes et notamment de Carcassonne, Limoux, Alet et Quillan, confirma les pouvoirs du nouveau duc, et vota un emprunt pour l’entretient de l’armée qui était sous ses ordres.
Ce fut une terrible année que cette année de 1593. Depuis plus de trente ans, la province du Languedoc était le théâtre des luttes sanglantes qu’avait provoquées la question religieuse. La contrée était dépeuplée ; les bras manquaient pour les travaux de la terre, les champs les plus fertiles étaient devenus des landes incultes. Le commerce était anéanti, les échanges étaient devenus presque impossibles, car il n’y avait nulle sécurité sur les chemins. Plusieurs villages avaient été détruits, d’autres complètement ruinés. La disette survint et amena une famine affreuse. Les habitants des campagnes presque réduits à l’état sauvage mouraient de faim au coin des bois, et étaient abandonnés comme des animaux immondes. La peste ne tarda pas à sévir et fit d’innombrables victimes.
Dans de pareilles conditions la continuation de la guerre entre les ligueurs et les troupes royales dans le Languedoc était devenue impossible. Les chefs des deux armées, le duc Henri de Joyeuse d’un côté et le duc de Montmorency de l’autre, convinrent d’une trève qui devait durer un an. Pendant cette année Henri de Joyeuse habita très-souvent le château de Couisan. Il y tomba malade et il y passa tout le temps de sa convalescence. Il affectionnait cette résidence où s’étaient écoulées ses jeunes années, et qui lui rappelait de si doux souvenirs ; car il y était venu avec sa jeune épouse pendant les premiers mois de son mariage. Pendant cette année d’extrême misère les habitants du bourg de Couisan et les vassaux de la seigneurie n’eurent qu’à se félicité de la présence de leur seigneur au milieu d’eux ; car, grâce à lui, ils furent à l’abri des horreurs de la famine.
Quand les hostilités recommencèrent entre les ligueurs et les royalistes, ce ne fut ni avec la même ardeur, ni avec la même tenacité. L’armée de la Ligue allait s’affaiblissant. Les troupes manquaient et l’argent aussi. Enfin, dans une assemblée tenue à Toulouse, en novembre 1595, les Etats de la province décidèrent de traiter evec le roi Henri IV.
Henri de Joyeuse fut un des premiers à se rallier à son souverain. Il lui ramena la ville de Toulouse et la province du Languedoc. Henri IV le fit pair et maréchal de France, chevalier de l’ordre du Saint-Esprit, duc de Joyeuse, baron de Couisan, Arques et autres lieux, gouverneur-général du Languedoc, capitaine gouverneur de Narbonne, capitaine de Carcassonne pour la Cité et le château. Il avait droit à une garde particulière de trente arquebusiers à cheval. Il avait aussi bien d’autres privilèges, car Henri IV avait traité avec lui à Folambray, en janvier 1596, de puissance à puissance.
Trois années s’écoulèrent. Henri de Joyeuse comblé de toutes les faveurs de la fortune prit, à l’improviste, la résolution de renoncer au monde et de rentrer dans le cloître. On attribua sa résolution au dégoût de la vie de la cour et au repentir qu’il éprouvait d’avoir encouru, autrefois, les reproches de sa mère qu’il aimait tant.
Il envoya au roi la démission de toute ses charges, céda tous ses biens à Henriette-Catherine sa fille, et reprenant son nom de frère Ange, il entra dans le couvent des capucins de la rue Saint-Honoré, à Paris, le 8 mars 1599.
Il vécut dans cet établissement avec beaucoup d’édification. Puis il se retira dans son château de Couisan, où il passa plusieurs années. L’ancien oratoire de sa mère, dont il avait fait sa cellule, s’appelait encore avant la révolution la chambre du capucin. Une légende populaire nous a conservé le souvenir du long séjour de frère Ange parmi ses vassaux.
En 1608, il se rendit à Rome pour assister à une réunion générale de son ordre. A son retour de Rome, il tomba malade dans une petite ville du Piémont, et peu de jours après, la nouvelle de sa mort arriva à Paris, Il mourut à Rivoli, près de Turin, le 27 septembre 1608, à 41 ans.. Les chroniqueurs de l’époque enregistrèrent cette mort dans leurs annales.
Henriette-Catherine de Joyeuse, fille du duc Henri et de Catherine de Nogaret, recueillit la succession de son père et celle de la maison de Joyeuse, le cardinal archevêque François II étant mort un an avant son frère. Après la mort de son père, elle était revenue dans le château de Couisan qu’elle avait habité enfant avec la vicomtesse Marie de Batarnay, sa grand-mère. Elle habita assez longtemps ce manoir dont le dernier des Joyeuse avait fait sa demeure monastique. En 1509, au moment où son père s’enfermait pour la seconde fois dans un cloître, elle avait épousé le duc Henri de Montpensier. Devenue veuve sans enfants, elle avait épousé en secondes noces Charles de Lorraine, duc de Guise, lequel, après la mort de son beau-père, ajoutaà son titre celui de duc de Joyeuse. Néanmoins Henriette-Catherine conserva toujours l’administration de ses biens personnels, ainsi que le prouvent deux documents authentiques que nous aurons l’occasion de citer. Elle reçut personnallement, à ce titre, l’hommage de reconnaissance des consuls et habitants de sa baronnie.
Il paraît que pendant les dernières années qui précédèrent la mort de Joyeuse le capucin, de graves abus s’étaient introduits dans le bourg de Couisan. A peine investie de l’héritage paternel, la duchesse de Guise s’émut de cette situation et y remédia. Elle fit rendre par son intendant général, et par le juge de sa seigneurie, une ordonnance relative à la régularisation des poids et mesures.
Voici un extrait de cette pièce :
« Jean de Juvisy, sieur de Beauregard, châtelain de Quillan, commandant aux châteaux et places de Madame la duchesse de Guise et de Joyeuse, et Barthélemy de Calm, docteur en droit, avocat en la cour du parlement et juge pour ma dite dame en la baronnie de Couisan......... en exécution de la transaction passée en 1524............ avons ordonné et ordonnons............... Prononcé au château de Couisan, le 23 janvier 1617. »
Henriette-Catherine duchesse de Guise et de Joyeuse posséda, pendant vingt-cinq ans, la seigneurie de Couisan et, à part le contenu de l’ordonnance dont nous venons de donner l’analyse, nous n’avons rien à signaler qui puisse, pendant cette période, se rattacher à l’histoire de cette localité. L’un des derniers actes de la duchesse, comme baronne de Couisan, est un brevet qui prouve qu’elle n’abandonna jamais ni à son mari, ni à ses enfants, l’administration des domaines qui lui appartenaient. Voici un extrait de cette pièce qui n’est autre qu’un titre de nomination d’un procureur juridictionnel, daté de Florence (Italie), le 20 novembre 1638.
« « Henriette-Catherine de Joyeuse, duchesse de Guise et de Joyeuse, comtesse d’Eu, baronne de Laudun, Roquemaure, Arques et Couisan, nommons aux office et charge de notre procureur juridictionnel dans notre baronnie de Couisan, Arques, Sparazan et autres lieux, le sieur N.......etc....... »
Si nous avons reproduit les deux documents historiques que nous venons de citer, c’est afin de détruire une erreur généralement accréditée, et d’après laquelle la seigneurie de Couisan appartenait à la famille de Guise. Le duc de Guise n’est même jamais venu à Couisan. La duchesse, sa femme, y vint seule, en 1625, pour la dernière fois et y fit un assez long séjour. C’est alors qu’elle reçut l’hommage de reconnaissance des Consuls et habitants des terres de cette baronnie. Nous venons de prouver qu’après avoir appartenu à la famille de Voisins, la baronnie de Couisan et d’Arques était passée entre les mains des Joyeuses qui en étaient encore possesseurs en 1638.
Mais le brevet que nous venons de citer fut le dernier acte de la duchesse Henriette-Catherine, comme baronne de Couisan. Exilée en Italie, en 1631, par Richelieu avec toute sa famille, elle ne rentra en France qu’en 1643. Elle revint alors de Florence trainnant les cercueils qui renfermaient les corps de son mari et de ses deux fils aînés morts en exil. Quant à son troisième fils, il était entré très-jeune dans les ordres, et il mourut quelques années plus tard cardinal et archevêque. La famille de Joyeuse n’existait plus. Comme toutes les grandes races, elle ne s’était pas éteinte, elle était tombée sous les coups d’une destinée implacable. A peine rentrée en France, Henriette-Catherine de Joyeuse, n’ayant plus d’héritiers, vendit en 1646, sa baronnie de Couisan et tout ses autres domaines du Languedoc, à Messire Claude de Rébé, neveu de l’archevêché de Narbonne.
Claude de Rébé, marquis de Rébé, baron d’Amplepuis, et Jeanne d’Albret, sa femme, fixèrent leur résidence au château de Couisan dès qu’ils en eurent fait l’acquisition. Leur premier acte fut une mesure odieuse. La marquise qui appartenait à la famille de la mère du roi Henri IV, dont elle portait les noms et prénoms, avait des habitudent princières, et dès qu’elle eut reçu l’hommage des habitants de la seigneurie, elle leur imposa arbitrairement une taille de deux mille livres. Son oncle, l’archevêque de Narbonne, eut le tort de l’appuyer dans cette prétention. Mais la population résista. Les consuls de Couisan, d’Arques et des autres communes réclamèrent avec énergie auprès de Monseigneur Nicolas de Pavillon, évêque d’Alet. L’éminent prélat intervint activement, fit annuler cette taille et restitua ce qui avait été déjà perçu. Cette leçon profita au marquis et à la marquise de Rébé qui, à dater de ce moment, ne donnèrent plus aucun sujet de plainte à leurs vassaux.
En 1651, la baronnie de Couisan et Arques fut, par lettes patentes du roi Louis XIV, érigée en marquisat. Le seigneur de Couisan figurant comme témoins dans un acte authentique était ainsi désigné : « Messire Claude de Rébé, marquis et baron de Couisan. » (Registre des naissances et décès de la commune de Couiza – 1671)
La marquise de Rébé ne jouit pas longtemps de la seigneurie dont elle avait été mise en possession en 1646. Elle mourut dix ans après, en octobre 1656, dans son château de Couisan, et elle fut inhumée dans l’église. Il y a à peine quelques années on remarquait son tombeau en marbre rouge dans la partie de la nef, au pied des degrés qui conduisent au choeur. Ce tombeau forme le pendant de celui de Guillaume de Joyeuse.
Comme ce dernier, il se trouve recouvert par le pavé en briques qui, fort mal à propos, a enfoui ces précieux monuments. Nous avons pu heureusement recueillir avant cette malencontreuse réparation un fac-similé de l’écusson armorié et de l’inscription qui sont gravés sur la pierre tombale recouvrant la dépouille de la marquise de Rébé.
Nous le reproduisons ci-dessous. Nous avons marqué en italique les lettres qui étaient complètement effacées.
CI GIT
da ME.IANE
d’ALBRET.FEME
de MESSIRE.CL.
au DE.DE.RE
bé. VERGES
ELLE
décé DA.LE.
ocTOBRE.
aNNÉE
1656.
Un document authentique, daté de Paris le 14 juillet 1662, prouve que le marquis de Rébé après la mort de Jeanne d’Albret, sa femme, avait renoncé à résider pendant quelques années à Couisan. La commune de Couiza doit au marquis Claude de Rébé la reconstruction de son église ou plutôt sa restauration. Edifié en 1578 par Guillaume de Joyeuse, cet édifice exigeait de notables réparations. L’arceau qui séparait la nef du sanctuaire fut exhaussé et agrandi. Le clocher fut exhaussé et reconstruit tel qu’on le voit de nos jours. En résumé l’église fut mise dans l’état où on l’a vue il y a vingt-cinq ans.
Claude de Rébé tenait à effacer la mauvaise impression qu’avait produite l’acte arbitraire par lequel, à l’instigation de Jeanne d’Albret, sa femme, il avait inauguré sa prise de possession de la seigneurie. En 1665, il consentit, tant à Arques qu’à Couiza, divers baux emphytéotiques, dont la redevance consistait en une pièce de volaille qui valait quatre sous et qui était exigible à la Toussaint.
Ce fut grâce à son concours que les consuls de Couiza créèrent le premier compoix ou livre terrier de la commune qui fut terminé en 1680.
Déjà quelques années auparavant, en 1668, les registres des naissancess, des mariages et des sépultures de la communauté de Couiza avaient été créés ; car, en 1668, ce que nous appelons de nos jours l’état-civil n’existait pas à Couiza.
Mais la sollicitude de Claude de Rébé ne s’exerçait pas seulement au profit de la localité dont il était le châtelain. Elle s’étendait aussi sur tout le diocèse d’Alet. Possédant un magnifique hôtel à Paris, il y passait ses quartiers d’hiver ; mais tous les ans, pendant six ou sept mois, il habitait son château de Couisan. Assistant régulièrement aux Etats de la province, il ne faisait faute aussi de prendre part aux travaux de l’assiette du diocèse. On cite de lui à ce sujet un acte très-méritoire. En 1656, un président ou juge Mage de la sénéchaussée de Limoux secondait les dilapidations de son frère qui était receveur du diocèse. Ils furent condamnés à mort tous les deux ; mais ils prirent la fuite. L’année suivante, le premier consul de Limoux s’empara, à la tête d’une troupe armée, de l’Hôtel de ville où siégeait l’assemblée du diocèse d’Alet, afin de forcer les membres qui la composaient à réhabiliter les deux concussionnaires. Le marquis Claude de Rébé, marquis de Couizan organisa la résistance et courut de grands dangers. Il sortit victorieux de cette lutte et il fit transférer la tenue des Etats du diocèse à Carcassonne.
L’arrêt de condamnation fut maintenu. Les coupables demeurèrent en Espagne, mais ils durent restituer la somme de 280.000 livres au profit du diocèse d’Alet.
Le marquis Claude de Rébé fut toujours aimé et respecté dans la commune de Couiza et dans tout le diocèse. Il était secondé dans l’administration de ses terres par le sieur François de Saint-Julien, son viguier, qui habitait le château de Couisan et qui entretenait les meilleurs relations avec les consuls et les notables de cette localité.
Le marquis Claude de Rébé mourut en son hôtel, à Paris, en 1678. Il eut pour héritier son fils Claude-Hyacinthe de Rébé, « marquis d’Arques et de Couisan, seigneur de Monrenard, Chavigny, Le-Lombard et autres places, colonel du régiment de Piémont ». Il fut, comme son père, le bienfaiteur du bourg de Couisan.
C’est à lui que la commune de Couiza doit le magnifique batardeau en pierres de taille qui la protège efficacement contre les invasions de l’Aude. On lui doit aussi la construction de la solide muraille qui s’appuie à la tête du pont de Montazels et qui malheureusement inachevée devait, par son extrémité opposée, se souer au mur en forme de glacis qui est appuyé à la base du batardeau.
C’est à Hyacinthe de Rebé que l’on doit la reconstruction du pont sur l’Aude, dit Pont de Montazels, à l’entrée de Couiza. Ce pont fut exhaussé et son tablier en bois fut remplacé par des arches en pierre de taille.
Ces importants travaux furent exécutés en vertu d’une décision des Etats de Languedoc réunis à Nîmes. Les Etats pourvurent à la majeur partie de la dépense. Hyacinthe de Rébé et la communauté de Couisan y contribuèrent pour une part. Tous ces travaux de défense furent terminés en 1682, ainsi que le constatent d’abord l’inscription de cette date gravée sur le batardeau, puis un écusson armorié et portant aussi la même date qui est encastré dans la première pile du pont.
C’est à tord que l’on a attribué ces travaux à l’évêque d’Alet ; car, à partir de 1675, après la mort de Monseigneur de Pavillon, le siège d’Alet était occupé par Alphonse de Valbelle qui, n’ayant que l’investiture royale sans institution canonique, ne fit qu’une courte apparition dans le diocèse.
Hyacinthe de Rébé mourut en 1710. Sa veuve Thérèse de Pons administra la seigneurie pendant la minorité de sa fille Marie-Josèphe de Rébé.
Dans un acte de 1721, elle prend le titre de marquise de Couisan et d’Arques (archives d’Arques) et elle vend une vaste forêt à un gentilhomme verrier pour y établir une verrerie.
Rien n’établit que thérèse de Pons-Monclar, marquise de Rébé ait habité, du moins d’une façon permanente, son château de Couisan. Elle y était représentée par son intendant général, Henti de Clère-Sainte-Foy qui était installé dans cette demeure. Sa résidence habituelle était à Perpignan.
La province du Languedoc avait créé à cette époque huit régiments de milice et deux régiments de Dragons du Languedoc. La Tour d’Aude du château de Couisan avait été convertie en prison militaire, parce qu’une partie de la milice tenait garnison dans le diocèse d’Alet.
Puisque nous sommes à faire des citations extraites des éphémérides locales, nous croyons devoir reproduire ici un résumé d’une relation consignée par M. Assezat, prêtre recteur de Couiza, sur les registres de la paroisse.
M. Assezat rapporte que le 18 avril 1720, entre une et deux heures de l’après midi, survint un orage, venant du côté de la f
orêt des Fanges, qui descendit dans la vallée de la Salz, y demeura fixé pendant deux heures et déchargea à quatre reprises une énorme quantité de grêle sur le pic de Cardou et les territoires des communes voisines. La Salz déborda et entra dans la rue du Pont par la rue de l’Arcade, charriant, deux heures durant, des amas de glace compacte ayant 3 pans (66 centimètres) d’épaisseur et qui formaient comme des radeaux ou de grandes tables au-dessus de l’eau. Il ajoute que ces radeaux de glace de 66 centimètres d’épaisseur allèrent sur l’eau de l’Aude jusques au-delà de Carcassonne.
Marie-Josèphe de Rébé avait à peine atteint sa majorité que, mise par sa mère en possession de ses domaines, en 1725, elle épousa Eléonor de Reyne, marquis du Bourg, qui mourut très-jeune et ne laissa point d’enfants. Devenue veuve, la marquise du Bourg vint habiter pendant une partie de l’année son château de Couisan. En 1735, elle céda à Louis de Banne, marquis de Davejean, le droit d’entrée aux Etats-généraux de la province du Languedoc qui était attaché à la seigneurie de Couisan et Arques. C’est donc par erreur que l’on a considéré le marquis de Davejean comme étant propriétaire de la seigneurie de Couisan. Il n’était, si nous pouvons nous exprimer ainsi, que seigneur in partibus (en partie). Il avait le titre, mais non la possession.
A cette époque, en 1735, le pont de couiza sur la Salz qui était en mauvais état fut réparé et consolidé. Le chemin de la province qui se dirigeait vers le Roussillon et le chemin du diocèse de Couiza à Espéraza furent élargis et réparés.
En 1746, Marie-Josèphe de Rébé, marquise du Bourg, vendit le marquisat de Couisan et Arques à Guillaume de Castanier d’Auriac, lequel n’habita jamais le château de Couisan. Il y était représenté par un intendant qui avait ses pleins pouvoirs, et qui entra souvent en conflit avec les consuls et habitants du lieu de Couisan. Un de ces conflits relatifs à des questions de taxes, prit même un caractère de gravité bien accentué. Les notables de Couisan avaient à leurs tête à cette époque (1758), un homme d’un grand mérite, un bourgeois anobli par ses services militaires, ancien major d’infanterie, chevalier de Saint-Louis qui mourut dans cette commune en 1773, à l’âge de 82 ans. Ses démarches actives firent triompher les droits de la commune contre les prétentions de l’intendant-général du seigneur de Couisan. Tout ce que nous trouvons de remarquable dans l’histoire de Couisan pendant que M. Castanier d’Auriac en fut le seigneur, c’est la création d’une foire le 29 août, aux lieu et place de celle du 7 janvier, tombée en désuétude.
Guillaume Castanier d’Auriac était marquis d’Auriac, seigneur de Couisan, Arques et autres places, conseiller d’Etat, président du grand conseil ; il mourut en 1765, laissant tous ses biens à sa fille unique, Françoise-Catherine de Castanier d’Auriac, épouse de Louis Marie du Poulpry, lieutenant-général des armées du roi. Le marquis et la marquise du Poulpry ne firent que de rares apparitions dans leurs terres du Languedoc. Leurs domaines étaient gérés par un intendant qui résidait au château de Couisan.
Le marquis fut tué en duel, en 1773, et ne laissa pas d’héritier.
La marquise, tout en ne faisant que de rares apparitions sur ses terres, se préoccupait du bien-être des habitants de la seigneurie de Couisan et Arques. Elle entendait que les baux emphytéotiques consentis en faveur de ses tenanciers ne donnassent lieu qu’à de modiques redevances. On cite telle redevance qui consistait en une paire de gants ou bien en une fleur, ce qui était un signe d’hommage ou de reconnaissance. La marquise Castanier du Poulpry continuait ainsi les traditions des dames de Joyeuse et de Rébé. Aussi les habitants de la baronnie de Couisan n’eurent jamais, ou presque jamais à se plaindre que le sceptre de cette petite royauté fut souvent tombé en quenouille.
Nous nous sommes demandé qu’elle était l’importance du bourg de Couisan, il y a environ un siècle. Voici les indications que nous fournissent les documents officiels. Le nombre de feux taillables n’avait pas augmenté depuis la recherche de 1594. Il était de 145 en 1680, et en 1770, la population était de 800 âmes environ.
Couiza avait remplacé Arques, sous les Joyeuse, comme chef lieu de la baronnie de Couisan et Arques. A ce titre, Couiza était le siège de la juridiction de la seigneurie, qui comprenait plus de vingt-cinq villages ou hameaux.
Il existait à Couiza diverses industries, et notamment une fabrique de savon, deux ateliers de mégisserie et deux fabriques de chapeaux. Il s’y faisait un commerce de laines et de denrées du pays.
Nous constatons, avec regret, que c’est en 1780 que prévalut dans les actes publics et que fut adoptée l’appellation patoise de Couiza. Il est fâcheux que le nom de Couisan qui avait un caractère historique ait été ainsi altéré.
Le patron de l’église de Couiza est Saint-Jean-Baptiste. La paroisse a un second patron, Saint-Roch. Une chapelle champêtre dédiée à ce saint existait encore, il y a à peine un siècle, à l’extrémité du parc du château, à l’entrée du chemin qui se dirigeait vers les Corbières.
Les armoiries de Couiza sont :

« D’un agneau d’argent crucifère, sur un champ d’azur. »
D’après l’armorial de d’Hozier que nous avons déjà cité, ces armoiries ont été, suivant l’édit de 1696, modifiées de la manière suivante :
« De sinople à trois billettes d’or posées en barre. »
La commune de Couiza a tenu à conserver son premier blason.
Le but que nous nous sommes proposé en retraçant la monographie de Couiza depuis son origine jusqu’aux temps modernes, aura été atteint si nous sommes parvenu à faire revivre sous notre plume les phases si variées de l’existence d’une commune qui nous est chère à bien des titres. Elle est pour nous la petite patrie. Nous l’avons toujours aimée et toujours servie, et nous n’avons fait ainsi que suivre une longue tradition de famille : nous n’avons fait que continuer un héritage qui remonte au début du seizième siècle. C’était donc pour nous presque un devoir que de retracer, pour la commune de Couiza, un passé historique auquel ont été constamment mêlés, à divers titres, ceux qui, avec leur nom, nous ont légué le souvenir de leur dévouement à la chose publique et de la confiance dont les entoura, tour à tour, pendant plus de trois siècles, une population qui fut toujours pour eux une véritable famille.
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