Clics 1836 |
LE DRAPEAU Français
- Voyez-vous, disait souvent le vieux capitaine Fougerel en frappant sur la table, vous ne savez pas, vous autres, ce que c’est que le drapeau. Il faut avoir été soldat ; il faut avoir passé la frontière et marché sur des chemins qui ne sont plus ceux de la France ; il faut avoir été éloigné du pays, sevré de toute parole de la langue qu’on a parlée depuis l’enfance ; il faut s’être dit, pendant les journées d’étape et de fatigue, que tout ce qui resta ce qui reste de la patrie absente, c’est ce lambeau de soie aux trois couleurs françaises qui clapote là-bas, au centre du bataillon ; il faut n’avoir eu, dans la fumée de la bataille, d’autre point de ralliement que ce morceau d’étoffe déchirée pour comprendre, pour sentir tout ce que contient dans ses plis cette chose sacrée qu’on appelle le drapeau. Le drapeau, mes pauvres amis, mais sachez-le bien, c’est, contenu dans un seul mot, rendu palpable dans un seul objet, tout ce qui fut, tout ce qui est la vie de chacun de nous : le foyer où l’on naquit, le coin de terre où l’on grandit, le premier sourire d’enfant, le premier amour de jeune homme, la mère qui vous berce, le père qui gronde, les premiers ans, la première larme, les espoirs, les rêves, les chimères, les souvenirs ; c’est toutes les joies à la fois, toutes enfermées dans un mot, dans un nom, le plus beau de tous, la patrie. Oui, je vous le dis, le drapeau, c’est tout cela, c’est l’honneur du régiment, ses gloires et ses titres flamboyant en lettres d’or sur ses couleurs fanées qui portent des noms de victoires ; c’est comme la conscience des braves gens qui marchent à la mort sous ses plis ; c’est le devoir dans ce qu’il a de plus sévère et de plus fier, représenté parce qu’il a de plus grand : une idée flottant dans un étendard. Aussi bien, étonnez-vous qu’on l’aime, ce drapeau parfois en haillons, et qu’on se fasse pour lui trouer la poitrine ou broyer le crâne. Il semble que tous les cœurs du régiment tiennent à sa hampe par des fils invisibles. Le perdre, c’est la honte éternelle. Autant vaudrait souffleter un à un ces milliers d’hommes que de leur arracher, d’un seul coup, leur drapeau. Non, non, cent fois non ! vous ne comprendrez jamais ce que peut souffrir un homme qui sait que son drapeau est demeuré, comme une partie intégrante du pays, aux mains de l’ennemi. C’est une idée fixe, qui dès lors le torture et le déchire. Le drapeau est là-bas ! ils l’ont pris, ils le gardent, Nuit et jour il y songe, il en rêve, il en meurt parfois. Qu’est-ce qu’un drapeau ? Vous me direz : un symbole… et qu’importe qu’il figure, ici ou là, dans une revue ou une apothéose ? Symbole, soit ; mais tant que l’espèce humaine aura besoin de se rattacher à quelque croyance saine, mâle et vraie, il lui faudra encore, de ces symboles dont la vue seule remue en nous, jusqu’au fond de l’être, tous les généreux sentiments, tout ce qui nous porte vers le dévouement, le sacrifice, l’abnégation et le devoir.
Jules Claretie
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